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glant qui suivit l’entrée des Bourguignons dans Paris que Claude de Chastellux reçut son bâton de maréchal des mains du pauvre Charles VI, tout occupé de chercher des moyens de conciliation. Le nouveau maréchal se trouva donc, par suite de cette faveur, avoir deux maîtres à la fois, le roi de France et le duc de Bourgogne; mais les circonstances se chargèrent bientôt de le débarrasser de cette obéissance à deux têtes. Après l’assassinat de Jean sans Peur, dont il ramena le corps en Bourgogne, la rupture fut consommée entre les deux maisons en lutte, et le maréchal de Chastellux suivit en vassal fidèle le parti de Philippe le Bon. Ce n’était pas précisément celui de la France, mais y avait-il alors une France comme nous l’entendons aujourd’hui? C’est pendant ces lamentables années de division que Claude de Chastellux accomplit le plus connu de ses exploits, la reprise de la petite place de Cravan sur les troupes écossaises au service de Charles VII. Cette victoire eut un résultat intéressant qui s’est perpétué presque jusqu’à notre époque. Cravan appartenait au chapitre d’Auxerre, le maréchal le lui rendit, et, pour le récompenser de ce service, le chapitre lui conféra le titre de chanoine héréditaire. A chaque nouvelle génération, l’aîné des Chastellux se présentait à la porte du chœur de la cathédrale, botté, éperonné, en habit militaire recouvert d’un surplis, une aumusse sur un bras, un faucon sur le poing, un chapeau à plume blanche à la main, et, après avoir prêté le serment de maintenir les droits du chapitre, il était investi du titre de chanoine que ses pères avaient porté[1].

Il est possible aussi qu’il faille mettre au nombre des témoignages de reconnaissance du chapitre d’Auxerre la sépulture que le maréchal reçut dans la cathédrale. On y voit encore aujourd’hui son monument funèbre, ou, pour être plus exact, une seconde édition de son monument funèbre, édition revue et corrigée encore de nos jours. En effet, la tombe du maréchal fut brisée par les calvinistes pendant les guerres de religion, et fut refaite longtemps après dans le cours du XVIIe siècle. Ce second monument fut-il une simple reproduction du premier? On peut l’admettre pour les figures du tombeau, mais difficilement pour le petit bas-relief qui l’accom-

  1. Ce fut en 1732 que cette cérémonie fut célébrée pour la dernière fois; depuis ce temps, les Chastellux se sont contentés de joindre à leurs titres celui de chanoine d’Auxerre. Au sujet de ce titre, je trouve une assez piquante anecdote et un assez joli mot dans les Souvenirs de l’abbé Fortin, curé actuel de la cathédrale d’Auxerre. Le comte de Chastellux de la restauration fut un des chefs militaires de l’expédition du Trocadéro. A son retour, se trouvant en compagnie du prédécesseur de l’abbé Fortin, l’abbé Viard, il raconta divers épisodes de son expédition, et dit entre autres comment il avait fait mettre bas les armes à un corps de révoltés commandés par un curé. — Eh! vraiment, répondit l’abbé Viard, il était trop légitime qu’un curé comme lui rendît les armes à un chanoine comme vous !