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aux deux bâtards d’en faire justice. Ils le sentirent si bien qu’ils sortirent du royaume : la terre de Courson fut confisquée. » Voilà qui prouve sans réplique que nous n’avons pas précisément inventé la justice, et qu’il en existait une assez dure même à l’époque d’anarchie où vivait le bâtard; cependant nous ne pouvons nous empêcher de trouver bien sévère le blâme infligé par M. de Chastellux à ce cousin des âges passés. Eh! mon Dieu, qui n’a pas ses petits momens de vivacité, à quelque condition qu’il appartienne? Je conçois qu’au XVIIIe siècle, lorsqu’on avait perdu au sein d’une longue paix sociale tout souvenir de ce qu’est la vraie nature humaine, on eût songé à flétrir un pareil abus de pouvoir; mais aujourd’hui que l’expérience nous a suffisamment révélé que de simples roturiers peuvent en faire tout autant que le bâtard de Chastellux, cette incartade a droit à plus d’indulgence. Le maréchal de Chastellux fut probablement moins dur pour son rejeton ; il avait vu bien d’autres excès de la force lorsqu’il commandait à Paris les troupes de Jean sans Peur, et il avait pu comprendre par les exploits de ces deux remarquables hommes d’action, Capeluche, valet du bourreau, et Caboche, équarrisseur, de quoi l’homme est capable, de quelque rang qu’on le tire. De tous les mauvais instincts du cœur humain, le plus enraciné est celui de l’arbitraire, et de toutes les vanités de l’homme celle qui lui sera toujours la plus chère, c’est l’étalage de sa force.

Le plus célèbre de tous ces anciens seigneurs de Chastellux, et celui qui nous importe le plus, est précisément celui que nous venons de citer en dernier lieu, Claude de Beauvoir, créé maréchal de France par Charles VI. Bourguignon tout dévoué à son duc, il fut un des trois capitaines qui introduisirent les troupes de Jean sans Peur dans Paris, grâce à la trahison de Périnet Leclerc, pendant cette nuit fatale qui eut un lendemain tellement affreux qu’aux alentours de l’Hôtel de Ville on marcha dans le sang jusqu’à la cheville, disent les contemporains. Quand nous sommes trop portés à désespérer du présent et à croire que les dangers qui nous menacent ne seront jamais surmontés, faisons un retour en arrière, repassons par le souvenir l’état de la France pendant les guerres anglaises, et avouons que nos pères ont connu de bien autres épreuves que les nôtres. Ce ne fut pas une commune de deux mois et l’anarchie d’une seule ville qu’ils eurent à subir, ce fut une commune de plus de soixante-quinze années et sur toute l’étendue du territoire français. Que de communeux, bon Dieu, et de combien d’espèces et de variétés! Il y en a toute une flore et toute une faune, maillotins, Jacques, écorcheurs, cabochiens, routiers, sans compter les factions avouables politiquement; la déesse Anarchie fut vraiment à cette époque une mère Gigogne incomparable. C’est au beau milieu du gâchis san-