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peut satisfaire, me semble un grand sot, et sa conduite envers la pauvre Marguerite est d’un misérable… Oh ! ne riez pas, je m’entends… Voilà un homme qui voudrait être un des rois de la terre et presque un dieu, et que trouve-t-il pour montrer sa puissance ? il écrase une pauvre âme… Je m’explique peut-être mal…

— Va, je t’ai comprise, dit le comte, c’est tout ce qu’il faut ; mais tu t’échauffes comme si j’étais moi-même ce Faust.

— Je ne sais si vous êtes un Faust comme celui-là, répliqua Marcella d’un ton froid ; mais ce que je sais, c’est que je ne suis pas la Marguerite qui se jetterait à son cou.

À quelques jours de là, nous étions à nous promener sous les antiques tilleuls du parc. L’air était pur et tiède, le soleil dorait le feuillage et les herbes, qu’une brise légère remuait à peine. Nous gardions le silence, et cependant nous sentions l’un et l’autre qu’il fallait parler.

— Mon temps est fini, dis-je enfin, je te quitterai dans peu de jours. Pourtant je ne voudrais pas partir sans être fixé sur ton avenir. Es-tu décidé à prendre Marcella pour femme ?

— Oui, me répondit-il d’une voix grave.

— Tu ne crains pas ce qu’en dira ta famille ?

— Mon ami, s’écria le comte, et son cœur débordait, je ne peux plus vivre sans elle. Pourtant ne me crois pas aveugle, ma résolution est d’accord avec ma raison. J’ai sur le mariage des idées que l’expérience de la vie et la réflexion fortifient et confirment chaque jour. Le fondement, le principe de l’union des sexes est sans nul doute l’amour physique, ce désir qui nous traverse comme un éclair. Cependant la nécessité d’une alliance durable, d’une alliance qui dure au moins tant que grandissent les enfans, fait naître le besoin d’un accord intime des âmes. Si donc la satisfaction des sens est la première condition, — et j’ajouterai qu’elle gagne par le contraste physique, — l’harmonie morale est également nécessaire au bonheur de deux époux. Enfin ce qu’il faut placer au-dessus de tout, c’est le travail en commun. Le mariage n’est-il pas la forme la plus ancienne, la plus pure et la plus sage de l’association humaine qu’il y ait eu et qu’il y aura jamais ? Le partage de la peine est un commandement de la nature. Ce n’est point à dire que chacun doive travailler de son côté, indépendamment, isolément ; non, ce qu’il faut, c’est que la femme nous soutienne, qu’elle s’intéresse à nos occupations, et qu’elle y prenne la part spéciale que la nature lui a réservée. Si l’homme est plus hardi dans la conception, la femme sera plus pratique et plus soigneuse dans l’exécution ; s’il fournit l’idée, le plan, la composition, elle se chargera du détail. Ce n’est que l’association dans le travail qui pourra conduire à l’égalité des