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cou à Odessa avec embranchement sur Taganrog. Il est question en outre d’une ligne de Perm en Sibérie à travers l’Oural, afin de desservir les importantes usines de Nijni-Taguil, Alapaïef, Neviansk, qui dépérissent faute de débouchés. On serait peut-être tenté de comparer ces travaux à ceux du même genre qu’exécutent les Américains des États-Unis, qui visent de même à la plus grande économie, et qui se contentent de railways imparfaits en attendant qu’ils soient capables de les faire avec plus de soin. Cette comparaison serait inexacte. Aux États-Unis, les chemins de fer sont l’œuvre de tout le monde, cultivateurs et habitans des villes ; en Russie, les paysans, qui sont la grande masse de la population, se soucient peu de voies de communications rapides, confinés qu’ils sont dans leurs villages. Sous un autre rapport, la juste proportion entre l’importance du but et les moyens employés pour l’atteindre est un caractère essentiel des entreprises américaines ; la Russie au contraire sacrifie beaucoup à la parade. n’est-ce pas le défaut habituel des gouvernemens absolus et des administrations fortement centralisées ? C’est ainsi que, lorsque l’impératrice Catherine traversait ses états, on lui offrait à chaque relais le mirage d’un hameau d’opéra-comique, et que, aujourd’hui encore, lorsque le tsar doit visiter une province, on interdit longtemps à l’avance toute circulation sur les routes, afin que le maître les trouve en bon état d’entretien et se figure qu’il en est toujours ainsi.

Et cependant, si les Russes veulent mettre en valeur les richesses de leur sol, il leur faut des routes et des chemins de fer ; il leur en faut encore, s’ils veulent favoriser l’expansion de leur politique en se reliant de plus près aux contrées limitrophes ; il leur en faut surtout, s’ils entrevoient dans un avenir plus ou moins lointain une lutte contre l’Allemagne, leur puissante voisine. On peut dire que cette dernière considération a jusqu’à présent été prédominante. N’est-ce pas à cette préoccupation par exemple qu’il convient d’attribuer l’excès de largeur de la voie dans les chemins de fer russes ? Dans toute l’Europe centrale, de Varsovie à la frontière d’Espagne, l’écartement des rails est le même ; à l’est de la Vistule, il est de 9 centimètres plus grand. Cet excédant est trop faible pour avoir aucun avantage pratique: il empêche que les wagons ne passent d’une ligne à l’autre ; il exige un transbordement aux gares de raccordement, et voilà tout. Serait-ce au moins en temps de guerre un sérieux obstacle à l’usage des railways par une armée d’invasion ? On n’y peut guère compter, car la réfection de la voie à la jauge des chemins de fer prussiens serait en définitive un travail de médiocre durée.

En réalité, cette querelle entre Allemands et Russes, que bien