On m’avait prévenu, madame, que vous aviez le goût de marier vos amis. Vous m’écrivez des bords du Rhin que j’ai beaucoup de talent, un délicieux caractère, et que je ferais un excellent mari ; vous m’apprenez du même coup que vous tenez à ma disposition une charmante fille qui serait bien mon fait, attendu qu’elle est Allemande et musicienne comme vous, qu’elle adore la peinture et surtout ia mienne, qu’elle joint une imagination poéiique à la science du pot-au-feu, qu’enfin elle possède toutes les qualités requises pour faire le bonheur de Tony Flaraerin votre serviteur. Le porti’ait que vous m’en faites est parlant. Je la vois d’ici avec ses cheveux blonds et son grand tablier de cuisine noué autour de son cou, tenant de la main droite une cuiller à pot, de la main gauche un joli in-dix-huit doré sur tranches, et d’un œil surveil- lant une casserole, tandis que l’autre verse des larmes sur les in- fortunes d’Egmont et de Clara. Je vous suis vraiment fort obligé de vos bonnes intentions ; mais d’abord êtes-vous bien sûre que je ne sois pas déjà marié, ou presque marié, ou quasi marié ? car il y a bien des nuances dans tout cela. Et puis voici le point : vous m’assurez que votre jeune amie a des yeux d’un bleu céleste. Ah ! madame, les yeux célestes ! .. C’est toute une histoire qu’il faut que je vous raconte ; vous êtes discrète, vous la garderez pour vous.
J’avais vingt-cinq ans ou peu s’en faut, et il y en avait trois que j’étudiais la peinture dans l’atelier d’un maître que vous connais- sez, quand je reçus une lettre de mon père, brave tonnelier bour-