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rencontrer dans le régime actuel comme dans une hôtellerie de passage ; mais elles le font visiblement par condescendance, avec mille répugnances à peine déguisées, avec une incrédulité dédaigneuse et en ne négligeant aucune occasion de rappeler au provisoire qu’il est le provisoire. En d’autres termes, si on nous permet de parler ainsi, elles ne peuvent pas ce qu’elles voudraient, et elles ne veulent qu’à demi, avec une complète tiédeur, ce qui est possible. Il en résulte qu’au lieu d’exercer une influence réelle, décisive, proportionnée à leur importance, elles se font un rôle en quelque sorte tout négatif, tandis que les partis actifs, remuans, se démènent, se donnent comme conservateurs parce qu’ils combattent toute révolution contre le régime actuel, et les populations indécises, ne sachant plus que faire, vont, comme il arrive souvent, à ceux qui montrent une si présomptueuse confiance en eux-mêmes. C’est l’éternelle histoire, c’est la faiblesse du suffrage universel dans les situations troublées.

Est-ce à dire que ces élections mêmes qui ont porté à l’assemblée M. Deregnaucourt, M. Bert, M. Barni, aient absolument la signification qu’on leur donne, et que les départemens du Nord, de la Somme, de l’Yonne, aient entendu bien positivement envoyer à la chambre des radicaux, des révolutionnaires ? Non sans doute, les élus eux-mêmes n’ont pas trouvé de meilleur moyen pour populariser leur candidature que de se déclarer disposés à soutenir le gouvernement de M. Thiers, — et le pays, on n’en peut guère douter, n’a pas cru voter contre le gouvernement. On a parlé d’une interpellation qui serait adressée au ministère sur ces élections, sur la direction de la politique intérieure. Que peut-on demander sérieusement au ministère et au chef de l’état ? On leur demanderait, dit-on, de gouverner avec la majorité ; mais c’est là justement la question. Qu’elle se montre donc, cette majorité, qu’elle ait son programme sérieux, pratique, dans les limites du possible, sur le seul terrain où puissent se rencontrer toutes les forces libérales et conservatrices : ce sera la réponse la plus décisive aux élections de l’Yonne et de la Corse, ce sera le meilleur moyen de mettre la France à l’abri des entreprises du radicalisme et du césarisme, auxquels le dernier scrutin n’aura donné qu’un triomphe de hasard et sans lendemain.

La France est certainement intéressée à voir s’affermir chez elle les conditions d’un gouvernement libéral et régulier. C’est pour elle le gage de son affranchissement définitif vis-à-vis de ses ennemis d’hier et de sa rentrée dans les affaires de l’Europe. Jusque-là, nous avouons ne point attacher une importance démesurée à tous ces commentaires dont on accompagne le voyage du prince Humbert en Prusse, la rencontre de l’empereur d’Allemagne et de l’empereur de Russie dans la ville où l’on doit élever un monument au baron Stein, l’excursion possible de l’empereur d’Autriche à Berlin. Que les gobe-mouches de la