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années de service, qui dans la pratique se réduiraient même à deux années et demie ou deux années, n’auraient peut-être d’autre résultat que de créer une sorte de mouvement perpétuel, une mobilité inconsistante et stérile, sans laisser aux mœurs militaires, à l’esprit militaire, le temps de se développer et de s’affermir. Ce serait assez pour donner une apparence d’instruction, ce ne serait pas assez pour faire un soldat, et ce serait encore trop pour nos finances, puisque avec les trois contingens complets de 150,000 hommes et le fonds permanent de l’armée, qui s’élève à 120,000 hommes, le général Trochu dépasse le chiffre que peut supporter le budget. On n’aurait ainsi ni l’avantage des incorporations universelles, ni l’avantage d’un solide et vigoureux noyau d’armée active. Le général Trochu a soutenu son système par un argument singulier : il montre la troisième année comme le moment de perfection pour le soldat, et c’est juste à ce moment qu’il veut le renvoyer ! Il a même imaginé une autre combinaison non moins étrange, ce serait de délivrer des congés anticipés aux plus méritans par la voie du concours, de sorte que l’armée se trouverait successivement privée de ses meilleurs élémens. Que resterait-il ? Évidemment il y a dans tout ceci quelque confusion qui a nui au succès du général Trochu, et qui l’a empêché de gagner sa bataille pour le service de trois ans. D’autres après lui ont demandé quatre ans. La commission a maintenu jusqu’au bout un service de cinq années pour la portion du contingent appelée dans l’armée active.

Ainsi marchaient les choses, lorsque tout à coup a éclaté un orage que rien n’annonçait dans ce débat vivement soutenu sans doute, mais en même temps plein de modération et d’intérêt. À l’approche du vote décisif, M. le président de la république, reprenant la parole et s’animant par degrés, a fini par menacer l’assemblée de se retirer, si on lui refusait les cinq années du service militaire. Il a posé, comme on dit, la question de cabinet, ou plutôt la question de gouvernement, rouvrant ainsi toutes les perspectives d’une crise politique imprévue, et jetant brusquement l’assemblée dans une véritable confusion, dans une de ces pénibles perplexités où elle s’est trouvée déjà le 19 janvier, le jour où pour la première fois, à propos de l’impôt sur les matières premières, M. Thiers a menacé la chambre d’une abdication immédiate.

L’émotion a été vive, elle n’est même pas entièrement calmée, et le plus triste inconvénient de ces pénibles scènes, c’est de raviver le sentiment de l’incertitude des choses, de nous rappeler trop cruellement que nous sommes dans le provisoire, de réjouir uniquement nos ennemis, — nos ennemis extérieurs qui nous regardent, aussi bien que nos ennemis intérieurs de toute sorte : ceux qui ne veulent ni du provisoire actuel, ni de la république modérée, ni de la monarchie constitutionnelle, qui n’ont d’autre pensée que de jouer la France sur un coup de