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géré. Il consent à quelques-unes de ces innovations et de ces vues pour un bien de paix avec ses contemporains, il se tait sur quelques autres ; il y en a par exemple qui ne peuvent se produire devant lui sans qu’il soit tenté de courir sur elles pour les pulvériser. M. Raudot peut plaisanter en classant M. le président de la république parmi les généraux, parmi les autorités militaires de première compétence. Eh ! sans doute, M. Thiers par le de guerre comme un général et même mieux qu’un général, parce que chez lui sous l’homme d’état il y a l’historien, il y a l’administrateur accoutumé à manier tous les ressorts de la puissance publique ; il y a de plus le patriote chatouilleux sur tout ce qui intéresse la grandeur nationale et sur ce qui est l’instrument le plus décisif de cette grandeur. Il aime l’armée, il la défend à sa manière, il est bien toujours certain de la défendre avec une entraînante éloquence. On peut quelquefois ne point se laisser convaincre par M. Thiers, on ne peut pas résister à la séduction de cette impétuosité généreuse qui le pousse au combat toutes les fois qu’un des premiers intérêts de la France se trouve engagé.

Au fond, de quoi s’agit-il dans ce débat, qui n’est point encore fini, mais qui est arrivé à ce point où les questions les plus essentielles, — obligation du service personnel, durée du service dans l’armée active, — sont déjà tranchées ? Rien n’est plus évident, il s’agit avant tout de reconstituer la puissance militaire de la France subitement désorganisée et compromise, de refaire une armée française, une véritable armée. Voilà la question. Eh bien ! pour arriver à résoudre ce problème aussi douloureux que simple, la première condition est de ne point commencer par se créer des illusions nouvelles à la place des illusions d’autrefois, de ne point se payer de mots retentissans, de ne pas se laisser tromper par des analogies plus spécieuses que réelles, de savoir ce qu’on veut et ce qu’on peut. On parle sans cesse de la « nation armée » comme du moyen souverain de reconstituer nos forces. M. Thiers a eu certes mille fois raison de le dire, ce n’est là qu’une décevante chimère et la plus vaine flatterie qu’un peuple puisse s’adresser à lui-même. Ce qu’on appelle la « nation armée » n’est le plus souvent que la nation désarmée, ou plutôt ce n’est qu’une immense et bruyante cohue fatalement promise d’avance à tous les désastres le jour où elle va se heurter contre une force constituée et dirigée. Que des esprits peu réfléchis se soient laissé bercer, il y a quelques années encore, par toutes les légendes des volontaires de 1792, qu’un homme qui est encore aujourd’hui ministre ait eu l’étrange fantaisie de dire en 1868 qu’il voulait une armée ayant le moins possible l’esprit militaire, c’était bon dans un temps où l’on ne savait pas encore ce que coûtent les illusions. Maintenant nous avons vu le malheur de près ; nous savons, pour l’avoir éprouvé, ce que peut la confusion agitée et tumultueuse contre l’organisation sérieuse et