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tous les âges, pour toutes les fortunes, voilà le fondement sur lequel repose la société américaine, la cause de la prospérité de l’individu et de celle de la nation ; la constitution n’en est que l’effet. Essentiellement malléable, cette constitution s’est prêtée aux transformations sociales que lui ont fait subir les trois générations qui depuis 1776 se sont successivement superposées sur le sol américain ; elle se prêtera également à celles que voudront lui faire subir les générations futures, et cela sans qu’il soit besoin d’un plébiscite, la majorité des deux tiers des membres du congrès suffisant à la confection des lois organiques. La volonté du peuple, qui aux États-Unis est tout le monde, a fait la constitution et le gouvernement ; elle peut à son gré défaire l’un et l’autre. Chez nous, les constitutions, octroyées les unes par le prince au peuple, arrachées les autres par le peuple au prince, ont-elles porté l’empreinte des mœurs de la génération par qui elles étaient faites, ou chaque génération a-t-elle porté l’empreinte de sa constitution ? À l’avenir seront-ce les mœurs de la nation qui feront sa constitution ? sera-ce la constitution qui fera les mœurs de la nation ? C’est une question dont l’étude des mœurs sociales et politiques de la république américaine peut éclairer certains côtés, et l’un de ces côtés, l’auteur de l’École de la politique l’a mis sans réserve en lumière.

Il a donné à ses concitoyens leurs grandes entrées dans les coulisses du théâtre électoral de leur capitale législative, et en publiant son ouvrage, il semble avoir invité les étrangers à y entrer à leur suite, — libre à chacun d’en rapporter ses impressions. Quant à nous, sans tenir pour acquis que la république, l’une des formes pratiques du gouvernement parlementaire, soit le dernier mot des sociétés modernes, nous ne partageons cependant pas les sentimens de crainte ou de dédain qu’en principe cette forme de gouvernement fait éprouver à nombre de gens honorables. Aux États-Unis, nous admirons et respectons la république, qui, loin d’être une surprise ou un expédient, se trouve être le gouvernement national et légitime du pays, le seul qu’il puisse avoir, le seul qui réponde aux besoins politiques, matériels et moraux de la nation. Partout où se rencontreront les mêmes conditions de race, de civilisation, de territoire, ce même gouvernement pourra s’établir de lui-même sans secousses, sans oscillations ; là où elles ne se rencontreraient qu’en partie, l’application en serait plus laborieuse ; là enfin où elles ne se rencontreraient pas du tout, l’application définitive en serait vainement tentée. Nos races latines ont fait sans doute le premier pas dans cette voie, puisque leurs sociétés en sont arrivées à l’état démocratique ; mais nos mœurs publiques et privées, nos institutions nationales sont loin d’avoir suivi cette marche, que le lecteur pourra nommer à son gré ascendante ou descendante.