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« RANDOLPH. — Messieurs, ma résolution était prise à l’avance. Je répète ce que j’ai toujours dit : je ne veux pas d’emploi. Mon désir suprême est de passer ma vie dans la tranquillité. Recevez pourtant mes remercîmens les plus sincères, et, avant que nous ne partions, laissez-moi porter un toast : Au premier sénateur élu de la Louisiane, qu’il soit grand dans le congrès !

« LE GOUVERNEUR. — Je vois que vous êtes incorrigibles. J’en suis fâché. Adieu ! »


Les institutions du pays ne résisteraient pas à cette grande curée, qui se renouvelle périodiquement tous les quatre ans, et la constitution tomberait déchirée sous la dent des électeurs, si tous ceux d’entre eux qui ont droit aux dépouilles en revendiquaient leur part. Cette revendication n’est faite que par le petit nombre ; les gens qui recherchent les emplois sont ceux qui accidentellement n’ont pas le moyen de faire autre chose. Un marchand, un banquier, un homme riche ou en train de le devenir s’occupe de ses affaires et non de celles de l’état ; s’il a besoin d’un organe politique, il gagne un politicien, et le fait parler ou écrire pour lui. Il faut qu’un homme jeune et ambitieux soit bien dénué de patronage pour embrasser la carrière de politicien ; il faut qu’un homme intelligent ait bien mal réussi dans ses entreprises commerciales ou professionnelles pour solliciter un emploi du gouvernement. Tout homme qui peut faire fortune dans un autre métier ne fait pas celui-là ; le citoyen américain peut prendre une profession, la changer, être ou ne pas être soldat ou marin, faire et défaire sa fortune, se marier et divorcer, émigrer sans esprit de retour, écrire et dire ce que bon lui semble, et cela sans savoir sous quelle présidence aura vécu sa génération, sans qu’il ait à se préoccuper de règlemens administratifs de nature à aider ou à gêner l’exercice de son droit inné d’évoluer à sa guise dans le cercle de son libre arbitre. S’il sort de ce cercle pour mettre un pied dans le cercle de son voisin, la loi intervient d’office, régulière comme un balancier de machine à vapeur, et elle lui marche sur le pied avec une pesanteur qui le fait rentrer précipitamment dans son cercle individuel ou le rejette de la communauté.

Travailler à sa fortune, tel est le thème que développe l’auteur de l’École de la politique. — Faites de la bière, ne faites pas de politique, dit frau Gertrude à son mari. — J’aurais pu arriver à la fortune en travaillant, si le travail n’eût pas été aussi vulgaire, dit le politicien Trimsail. — M. Randolph, dit Mortimer, l’héritier de plusieurs millions, ne me traite pas en intendant de sa plantation ; il me traite en ami et m’enseigne sur place le métier de planteur. — Le travail à tous les degrés, dans toutes les conditions, à