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d’estime ; mais, avant de me séparer de ce que je chéris le plus, mon repos, je désire savoir au juste ce que j’obtiendrai en échange. Je tiens à m’assurer à l’avance que je n’aurai pas à payer les violons trop cher.

« GAMMON. — C’est fort raisonnable.

« TRIMSAIL. — Notre expérience est à votre service.

« RANDOLPH, *- Je suis disposé, à m’instruire à votre école, mais à la condition que vous me laisserez me sauver comme l’écolier paresseux, si je n’aime pas votre discipline.

« TURNCOAT. — Agréé à l’unanimité.

« RANDOLPH. — Voyons votre prospectus, mes chers maîtres.

« LOVEDALE. — Rien que le plus jeune, je demande à être l’orateur. Attention, mon élève !

« RANDOLPH. — J’écoute ; mais une question d’abord. Quels motifs vous ont poussés à me choisir comme gouverneur ? De retour depuis deux ans seulement, je ne connais personne dans l’état. Élu sénateur dans ma paroisse, parce qu’il était impossible de trouver dans toute sa longueur et sa largeur quelqu’un disposé à venir à Bâton-Rouge, je n’ai pas jusqu’à présent dit un mot dans cette assemblée et n’ai pris aucune part aux affaires de la législature. Pourquoi donc m’avez-vous choisi ?

« LOVEDALE. — Par la raison même que vous avez donnée.

« RANDOLPH. — Très flatteur en effet.

« LOVEDALE. — Vous avez incontestablement de grands talens, mais heureusement ils ne sont pas connus : ils exciteraient l’envie, et tant d’esprits inquiets vous regarderaient comme un obstacle possible sur leur route que vous seriez repoussé par leurs intrigues. Si votre manque d’ambition, votre amour pour l’indépendance et votre aversion pour la politique leur étaient aussi connus qu’ils nous le sont, cela pourrait contre balancer le mauvais effet produit par vos talens. Il est fort heureux qu’on ne s’en doute pas.

« Tous. — Nous ne sommes pas d’accord avec vous !

« LK GOUVERNEUR. — Au contraire, Lovedale, nous adoptons notre ami pour ses talens, et nous désirons le pousser aussi loin et aussi haut que possible.

« LOVEDALE. — Nous, certainement, parce que nous sommes ses amis désintéressés, mais non les autres meneurs.

« RANDOLPH, A pan. — Vieux renards ! (A Lovedale.) Avez-vous sondé le peuple en ce qui regarde ma candidature ?

« LOVEDALE. — Est-il naïf ! Que diable le peuple a-t-il à faire en cette matière ? Le peuple ne se mêle pas de ces choses-là, si ce n’est pour aller ratifier ce que nous, ses meneurs, nous avons décidé ; grâce à notre organisation de parti, nous arrangeons les choses de façon que personne ne puisse se révolter contre nos ukases, et que le peuple est forcé d’accepter les candidats que nous lui choisissons. Le plat est servi chaud et fumant, il doit l’avaler comme il est.

« RANDOLPH. — Vous m’étonnez !