de l’action, prêtent leur concours empressé aux agissemens électoraux du Bertrand de l’endroit. La mère de l’amoureux, brave femme allemande, qui fait des tirades toutes germaniques sur les douceurs d’une existence que ne troublent ni la politique ni les politiciens, en vient elle-même à marchander et acheter quatre consciences d’électeurs. Il n’est pas jusqu’à l’auteur de la satire qui, après avoir menacé de sa férule les corrompus et les corrupteurs, ne finisse, à la vue des belles passes d’armes électorales qu’il décrit, par s’éprendre à son insu du beau joueur qui, en jouant plus serré, a gagné la partie, et qui ne joigne en connaisseur ses bravos aux hourras que pousse la foule en l’honneur de l’homme que sans le vouloir, sans le savoir, elle a élu sénateur au congrès.
L’une des habiletés du candidat victorieux a été d’unir en mariage les deux amoureux chacun de condition différente, le fils de Beckendorf, riche à millions, propriétaire, député à la législature, à la fille du gouverneur de l’état. C’était là une mésalliance que le père de la jeune personne repoussait, — résistance que la mère du jeune homme et le jeune homme lui-même jugeaient. Insurmontable, et qui l’aurait été sans le besoin d’un vote décisif. Il y a en effet dans chaque état, à défaut de noblesse titrée, un patriciat formé des familles dont l’histoire se rattache à la guerre de l’indépendance, de celles qui se sont installées les premières dans la contrée déjà riches ou en train de le devenir. Lorsque pendant plusieurs générations ces familles ont conservé et développé leur fortune, ont occupé des charges municipales et fédérales, ont doté des établissemens publics, ont exercé une large hospitalité, elles sont naturellement classées par l’opinion comme familles patriciennes. C’est le patriciat des villes libres de l’Italie du moyen âge : il ne procure pas d’influence politique, son influence se borne aux relations de salon. L’influence véritable, celle avec laquelle l’administration doit compter, parce qu’elle peut dans une certaine mesure déplacer la majorité électorale, c’est celle des grands banquiers, des grands brasseurs d’affaires de New-York, de Chicago, de San-Francisco, qui forment une oligarchie puissante.
Dans la mêlée électorale dont M. Gayarré a placé la scène à Bâton-Rouge, le sens moral semble faire défaut à tout le monde ; chacun trompe, chacun est trompé, et cependant l’on entrevoit à travers les ardeurs de la lutte que l’électeur, une fois son vote donné ou négocié, s’en retournera plus ou moins sobre au logis, et que là, assis au foyer domestique, les pieds en l’air, il racontera gaîment à sa femme et à ses enfans, qui en comprendront les finesses, les bons tours que son parti et le parti contraire se seront réciproquement joués. Au lendemain de ce jour enfiévré, il sera redevenu bon père, bon époux, bon planteur, et il ne donnera pas à