Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les enfans sous ce rapport ne valent pas mieux, je crois, que les grandes personnes, et aussitôt que la petite main rouge se levait pour demander la parole, il s’établissait un silence d’admiration ; le maître lui-même doutait parfois, en l’écoutant, de sa propre expérience et de sa propre opinion. Néanmoins certaines particularités dont il s’était amusé d’abord commencèrent à lui inspirer de grandes inquiétudes. Il ne parvenait pas à se dissimuler que Mliss fût vindicative, arrogante et volontaire ; on ne pouvait lui accorder qu’une qualité inséparable du tempérament demi-sauvage, la faculté physique pour ainsi dire de l’énergie et du dévoûment, et une autre encore qui n’est pas toujours, celle-là, il faut le reconnaître, l’attribut du noble sauvage, la sincérité. Mliss était brave et sincère ; peut-être dans un pareil caractère les deux adjectifs étaient-ils synonymes.

Le maître avait beaucoup réfléchi là-dessus, et était arrivé à la conclusion de tous ceux qui réfléchissent de bonne foi, à savoir qu’il était l’esclave de ses propres préjugés ; il résolut donc de prendre l’avis du révérend Mac Snagley. Cette démarche humiliait son orgueil, car Mac Snagley et lui n’étaient rien moins qu’amis, mais il ne pensait qu’à Mliss et à leur première rencontre. Pénétré peut-être de la superstition bien pardonnable que ce n’était pas le hasard qui avait guidé ce soir-là ses pieds dociles jusqu’à l’école, se complaisant peut-être aussi dans le sentiment de la magnanimité dont il allait faire preuve, le jeune maître surmonta ses répugnances, et alla trouver Mac Snagley. Le révérend fut aise de le voir ; cependant il remarqua qu’il avait l’air abattu, — affligé probablement de névralgie ou de rhumatisme ? Lui-même avait été pris de fièvre depuis la dernière conférence ; mais il avait appris pour sa part la résignation et la prière. Après un moment de silence pour recueillir certaine recette que lui donnait le maître contre la fièvre, M. Mac Snagley entama d’interminables éloges sur sœur Morpher. — Elle était l’ornement de la chrétienté, sa jeune famille promettait beaucoup ; quelle jeune personne bien élevée que miss Clytie ! si polie, si douce ! . — Il était ébloui des perfections de Clytie, il ne tarissait pas à ce sujet. Le maître se sentait doublement embarrassé ; cet enthousiasme paraissait souligner la différence entre Clytie et la pauvre Mliss, et il y avait quelque chose de confidentiel qui lui déplaisait dans le ton du révérend tandis qu’il lui parlait de l’aînée des demoiselles Morpher, de sorte qu’après de vaines tentatives pour dire quelque chose de naturel, le maître jugea opportun de battre en retraite. Il n’avait pas demandé le conseil qu’il était allé chercher, mais reprochait en lui-même assez injustement au révérend Mac Snagley de le lui avoir refusé.