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cadre noir. Le Lac sacré d’Oudeypour éblouit au contraire par les blancheurs des portiques et des pagodes bizarrement entassées sur le rivage. Deux barques pompeusement ornées relèvent par leurs vives couleurs l’éclat un peu monotone de ce désert de pierre ouvragée. M. de Tournemine est toujours le peintre voyageur par excellence, le touriste consciencieux et passionné que le public connaît et aime depuis longtemps. — Ajoutons que M. Lambinet expose une vue de la Seine au pied des coteaux de Bougival, baignée dans une lumière d’un blanc-lilas très clair, suivant sa manière fine, aimable et un peu timide, ainsi qu’une autre toile plus originale et plus puissante, qui représente un cours d’eau, bordé de têtards et d’herbes déjà jaunies par l’automne, et nous aurons à peu près épuisé tous nos anciens paysagistes. Voyons à présent ce que les nouveaux nous apportent, et s’ils peuvent, sinon les faire oublier, du moins les remplacer avec honneur.

M. van Marcke est l’élève de M. Troyon et cherche à recueillir son héritage ; mais, comme tout bon disciple, il reste à distance respectueuse du maître. Certainement M. van Marcke a du talent, un talent même des plus distingués. Son troupeau de vaches dans les landes du bassin d’Arcachon est un tableau bien composé, habilement peint, satisfaisant sous tous les rapports. Il n’y a pas de mal à en dire, et c’est là tout son mérite. Quant à cette vigueur incomparable, à cette audace héroïque, à cette grandeur simple et vraie, et, qu’on me permette une expression familière, à ce réalisme empoignant que donnait aux œuvres de son maître l’habitude de lutter corps à corps avec la nature, il n’y en a pas trace dans la composition savante et un peu banale de M. van Marcke. C’est une œuvre qui méritera l’approbation des plus difficiles, mais qui n’arrachera l’admiration de personne. La couleur même, si vraie, si individuelle, si trouvée chez Troyon, n’est plus ici qu’une coloration convenable, mais un peu fausse, comme tout ce qui est convenu. M. van Marcke ne s’est-il pas trompé en se faisant l’élève de Troyon ? N’aurait-il pas été mieux à sa place dans l’atelier de Rosa Bonheur, côte à côte avec son frère, l’auteur trop vanté du Dormoir des vaches ?

M. Nazon, qui donnait, il y a quelques années, de grandes espérances, est décidément une étoile qui file. Il s’est perdu par sa facture maniérée et par l’abus du procédé d’empâtement par touches, qui donnait de l’originalité à ses premiers tableaux. A présent, les lignes et les masses lui font complètement défaut. Tout nage dans un éblouissement confus, parsemé de petites touches miroitantes qui composent des pâtés de couleur sans forme. Son Souvenir de l’Aveyron, quoique d’une coloration toujours assez