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turales. Daphnie, un genou en terre et penché en avant, le bras tendu, entoure de l’autre bras le corps nonchalamment affaissé de sa compagne, attentive comme lui. Une nappe de lumière se repose sur les blanches épaules de Chloé, dont les contours nacrés rayonnent au soleil. Il y a de l’air, du plein jour, de l’éblouissement autour de ces deux jeunes corps aux formes suaves, baignés dans une lumière diffuse, et transfigurés comme toute cette nature épanouie au soleil d’un éternel printemps. Les eaux sont vives, argentées, étincelantes. Les tons les plus délicats, les plus vifs, les plus fins, animent le dessous des bosquets, disposés sur les deux rives avec un art infini, jusqu’à l’horizon vaporeux où brille au sein de la verdure une cascade au filet d’argent. Les premiers plans sont couverts d’une végétation exubérante de grandes herbes sauvages et de buissons fleuris. Le gazon, constellé de fleurs, est comme parsemé d’une pluie de pierres précieuses qui scintillent au soleil. Peut-être y a-t-il quelque chose d’artificiel et d’un peu maniéré dans cet étalage de merveilles. Assurément ce n’est pas la nature vraie, celle de tous les jours et surtout celle de nos climats ; c’est la nature transfigurée, divinisée pour ainsi dire, non pas même celle des Champs Elysées du paganisme, retraite majestueuse et un peu mélancolique, qui n’offrait aux âmes fatiguées qu’un asile paisible pour l’éternel repos, mais celle de l’âge d’or et du paradis terrestre, celle1 où l’enfance de l’humanité se livrait à ses premiers ébats, dans l’insouciance du lendemain et dans l’inexpérience du mal.

M. Fromentin n’a pas vieilli plus que M. Français. Je ne sais pourquoi il a cherché cette année à se dépayser. Il a quitté l’Algérie et l’oasis du Sahara, dont il nous rapportait, il y a deux ans, de si charmans souvenirs, pour transporter son chevalet sur les quais de Venise. Dans deux belles toiles vraiment imprégnées de l’atmosphère et de la lumière des lagunes, il nous représente le Grand Canal et le Môle. La première est d’un ton brun, calme et discret comme le mouvement de ces eaux paresseuses, où se reflètent, sous un ciel vaporeux, les façades brunies des palais. La seconde est d’un ton plus vif, animée par les gondoles qui glissent sur l’eau verte et par le soleil couchant qui éclaire le palais ducal. M. Fromentin est à sa place dans tous les sujets. Qu’il nous soit permis cependant de regretter la majesté de ses grands horizons du désert et la grâce harmonieuse de ses scènes orientales. C’est en ce genre qu’il a fait ses chefs-d’œuvre, et j’ai peur qu’il ne les refasse plus.

Un autre de nos orientalistes, M, de Tournemine, est resté fidèle à sa patrie d’adoption. Son Éléphant attaqué par des lions dans une des plaines marécageuses du centre de l’Afrique est un de ces morceaux fortement colorés qui auraient besoin d’être mis dans un