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n’est-il plus en rapport avec nos idées et nos mœurs ? Ce tableau nous surprend plus qu’il ne nous intéresse, et nous laisse froids, malgré la recherche théâtrale de la composition et la beauté de la couleur. Il n’en est pas de même de la Mort du duc d’Enghien. Le malheureux prince est représenté au moment même où on lui donne lecture de sa sentence. C’est la nuit, et la scène n’est éclairée que par la lanterne du gendarme chargé de remplir cet office. Debout devant une muraille où son ombre se projette avec des dimensions colossales et une intensité un peu fantastique, le prisonnier porte encore l’habit de chasse jaune, la casquette ronde galonnée qu’il avait quand on le saisit à Ettenheim. Son visage pâle, un peu émacié, reçoit en plein la lumière, qui frappe ses yeux éblouis ; il paraît accablé, mais de fatigue plus que de peur. Le gendarme, coiffé d’un lourd tricorne, tourne le dos au spectateur, et sa forte silhouette, qui se découpe eu ombre sur les parties lumineuses du tableau, contraste avec la figure violemment éclairée de la victime. Dans le fond, d’autres gendarmes, seuls témoins de cette tragédie, montrent leurs figures pacifiques et indifférentes. Les têtes sont très vraies et très magistralement exécutées, la couleur est puissante, quoique laissant voir l’effort ; l’ensemble est d’un grand effet, quoiqu’on sente peut-être un peu trop la volonté de le produire. La volonté, l’étude, l’imagination raisonnée, telles sont à présent les qualités de M. Laurens, et elles valent mieux que la négligence facile et l’invention banale, dont il a lui-même abusé quelquefois.

Un étranger, M. Rodakowski, nous donne aussi, avec un fort beau portrait de femme, un tableau d’histoire qui est une œuvre importante. Sigismond, roi de Pologne, vaincu par les séditions des nobles et les intrigues de la reine, fait proclamer aux gentilshommes ameutés le rescrit confirmant leurs privilèges. Le vieux roi est assis tristement, le menton dans sa main, sur une terrasse, du bord de laquelle le grand-connétable donne lecture à la foule de la proclamation royale. Son lévrier, couché à ses pieds, le regarde. La reine, debout derrière le dossier du trône, dissimule mal une expression de triomphe et reçoit d’un air hautain les hommages de ses courtisans. Un jeune prélat en capuchon rouge s’incline devant elle en joignant les mains, d’un geste naturel à sa profession. Au fond du tableau sont assemblés des seigneurs et des dames qui descendent par l’escalier du palais. Un archevêque mitré, forte et réelle figure du moyen âge, se tient debout à côté de la reine, portant la croix épiscopale. Au-dessus, on aperçoit les murailles et les bastions du château. Tout ce tableau respire une certaine puissance sérieuse qu’on ne trouve plus guère, il faut l’avouer, dans l’école française, et qui rappelle certains morceaux de M. Robert-Fleury.