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Tout autour de lui, au milieu des fumées confuses qui montent vers le ciel, des chevaux roulants, des cadavres épars, tous les débris du carnage jonchent la verte prairie, qui seule garde sa fraîche parure au milieu de cette scène d’horreur. Quand M. Brown aura complètement discipliné son talent, plus fougueux que réfléchi, on pourra porter sur son compte un jugement définitif.

Le Bivouac devant Le Bourget, de M. A. de Neuville, est une de ces compositions libres, animées, faciles, et qui semblent un peu décousues, mais qui sont très savantes avec toute l’apparence du hasard. La plaine est couverte de soldats de toutes armes : fantassins, cavaliers, lignards, zouaves, chasseurs, gardes nationaux, gardes mobiles, pantalons rouges, pantalons noirs, capuchons bleus, capotes grises, et jusqu’au burnous blanc d’un Arabe qui galope sur la route. Des officiers, des ordonnances, vont et viennent de tous côtés ; c’est le pêle-mêle inséparable d’un campement improvisé après un combat. Ceux-ci essaient d’allumer du feu sur la terre humide et froide ; ceux-là se couchent où ils se trouvent et s’endorment dans le fossé. Au fond, quelques maisons brûlées, trouées de boulets, dressent leurs pignons noircis. Cependant le vent souffle, la foule bariolée s’agite, le désordre est partout, et la confusion nulle part ; — je veux parler du tableau, bien entendu, et non pas de l’armée. Cette toile est peut-être la meilleure de M. de Neuville et l’une des meilleures de ce Salon.

M. Henri Lévy, dont on parlait aussi pour la médaille d’honneur, mérite certainement d’occuper une place à part. C’est un des seuls peintres, le seul peut-être parmi les exposans de cette année, qui sache aborder sans y succomber les grandes compositions historiques et théâtrales. Il a tout ce qu’il faut pour de pareils sujets : science de composition, coloris brillant, imagination dramatique. Son talent, nourri de l’étude des grands maîtres du temps passé, n’a rien de commun avec l’école académique qui a marqué le commencement de ce siècle. Ses modèles sont les Vénitiens et les Flamands, Véronèse et Rubens ; mais il ne parvient pas à remonter si haut, et ses plus proches parens sont ces peintres qui ménagèrent la transition entre l’art des Poussin, des Lesueur, des Lebrun, et l’école plus légère du XVIIIe siècle. Est-ce l’analogie des costumes, est-ce l’aspect oriental ? Son Hérodiade me fait l’effet d’un beau tableau de Lemoyne arrangé par un homme d’esprit qui a subi l’influence de Delacroix. La femme d’Hérode est assise sur une sorte de trône, dans un de ces édifices ornés de colonnes et tendus de riches draperies, qui, depuis Paul Véronèse, sont en possession d’abriter les tableaux d’histoire ancienne. Une esclave jaune couchée à ses pieds remplit le devant du tableau, j’allais dire du