volontiers ses clientes comme des perruches. Pour ma part, je préfère aux poupées de M. Dubufe le Polichinelle de M. Vollon ou le Magot japonais de M. Saintin ; ils ont certainement plus de vie.
Passons condamnation sur le portrait ; c’est la Medgé, disent ses admirateurs, qui le vengera de nos critiques. Voilà de la couleur, du modelé, de la lumière, de la volupté, du soleil ! On croirait voir la Salomé d’Henri Regnault ! — Cela est vrai, M. Dubufe a essayé de faire tout cela, mais comme un maître d’écriture fait de la gothique ou de la ronde, quand il est las de la cursive ou de l’anglaise ; il a cherché à imiter notre regretté et éternellement regrettable Henri Regnault, comme un calligraphe imite l’écriture d’autrui. Il s’est dit : Je veux être coloriste, et il a entassé les tapis, les coussins de soie, les bijoux brillans, les ornemens bariolés ; il a mis de grandes plaques de bleu d’azur à côté de grandes plaques de vermillon, et il ne s’est pas aperçu que sa pauvre odalisque, si maladroitement couchée au milieu de ces splendeurs criardes, en pâlissait encore davantage, qu’elle était maigre de dessin, faible de modelé, grisâtre de ton, et que son terne et insignifiant visage ressemblait à une tête de carton.
Pour nous reposer de l’affadissement que nous ont laissé les portraits de M. Dubufe, arrêtons-nous un instant devant les deux toiles de M. Carolus Duran. Enfin voici un peintre, un de ceux devant lesquels on s’incline, lors même qu’on doit les critiquer. Son œuvre est sujette à controverse, mais personne ne peut lui dénier une étonnante puissance de couleur, une incomparable vigueur de modelé, une merveilleuse possession de tous les moyens de son art, même dans ses hardiesses les plus scabreuses, et surtout une originalité qui subjugue ceux même qu’elle est loin de charmer. À quelle école appartient M. Carolus Duran ? Descend-il des Flamands, des Espagnols, ou ne relève-t-il que de lui-même ? Cela est bien difficile à dire ; mais il me semble que c’est ainsi qu’aurait peint l’Espagnol Goya, s’il n’avait pas tant abusé du noir, et s’il avait été un amant convaincu de la réalité au lieu d’un fantaisiste et d’un poète.
Le public, et c’est l’essentiel, subit involontairement l’ascendant de ces toiles. Je vous défie d’entrer dans la salle où elles sont exposées sans que vos yeux s’attachent malgré vous à ce portrait de femme robuste, aux cheveux d’un roux ardent, largement et simplement assise sur un canapé de satin marron, vêtue d’une robe gris de fer à revers de velours noir, les pieds posés sur un tapis d’un vert presque criard, une main gantée sur ses genoux, l’autre bras appuyé au dossier, et agitant un éventail de plumes rouges, qui se découpe, comme sa tête, sur un fond bleu verdâtre. Le contraste