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et cette pose sévères ? M. Thiers porte plus allègrement le fardeau du pouvoir, et quelques-unes des grâces familières qui lui sont naturelles n’auraient certes pas déparé l’air de dignité qui convient au président de la république.

Ce n’est donc pas une œuvre de premier ordre ; mais ce n’est pas non plus, comme on l’a trop dit, une œuvre médiocre. C’est au contraire un bon travail, plein de conscience, d’intelligence et de talent ; il n’y manque que l’inspiration, l’expression communicative, le je ne sais quoi des œuvres conçues clairement du premier coup d’œil et exécutées d’un seul jet, sans tâtonnemens ni ratures. Pour l’apprécier à sa juste valeur, il faut l’examiner en détail ; on a besoin de temps pour le voir, parce qu’il a fallu du temps pour le faire. On sent que le modèle lui-même a dû changer depuis les premiers coups de pinceau. Il faut enfin tenir compte à Mlle Jacquemart des grandes difficultés du sujet. Son talent n’a certainement pas diminué depuis l’époque où elle exposait les portraits de M. Duruy et du maréchal Canrobert. La personnalité de ces messieurs était sans doute plus facile à saisir que celle de M. Thiers. La nature vivante est beaucoup plus difficile à peindre que la nature morte, et un homme de premier ordre exerce et embarrasse beaucoup plus le talent d’un peintre que le premier modèle venu. Assurément il est possible de mieux faire ; mais combien y a-t-il d’artistes contemporains qui en soient capables ?

La plupart des portraits d’hommes exposés cette année sont plus que médiocres. Le lecteur nous pardonnera donc de ne pas lui présenter les images d’une foule de généraux, amiraux, officiers de marine, officiers de garde nationale et autres grands personnages remarquables seulement par leur uniforme. J’aime mieux m’arrêter quelques instans devant quatre œuvres d’un vrai mérite et curieuses à des titres divers ; je veux parler des portraits de M. About par M. Baudry, de M. Cavelier par M. Dupuis, de M. S… par M. Liévin de Wynne, de M. *** par M. Ricard.

Il y a longtemps que M. Baudry n’a paru dans nos expositions publiques ; depuis l’époque où il s’est mis en retraite dans son atelier du nouvel Opéra, il s’adonne exclusivement à la grande peinture murale et semble dédaigner un peu les petits tableaux de chevalet. Cette fois pourtant c’est presque en miniature qu’il s’est amusé à peindre la tête spirituelle de M. Edmond About. Ce petit tableau sur fond bleu, à la façon des vieux émaux, est une sorte de fantaisie du maître ; mais l’art n’y perd rien, et ce travail des momens perdus tiendra peut-être dans son œuvre un rang plus élevé qu’il ne s’en doute lui-même. Le brillant littérateur est représenté dans son fauteuil, à côté de sa table de travail, dans une tenue un