Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/823

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

principe de la séparation des travaux, empêchèrent bien de mauvaises choses et en produisirent d’excellentes. Il y aurait pourtant à distinguer entre les premières mesures et celles qui suivirent. Y a-t-il une différence bien notable entre le décret de la législative qui fait brûler les archives et celui de la convention du 3 octobre 1792 qui les destine à servir à la confection des gargousses de l’artillerie ? On trouvait encore en 1853 (le fait a été relaté par M. Vallet de Viriville), dans les magasins de l’artillerie, des parchemins qui avaient été destinés à faire des gargousses, et qui contenaient des débris de comptes relatifs au règne de Charles VII ! Les deux décrets, l’un ordonnant la réunion des archives dans un local commun, l’autre décidant que ce local serait le Louvre, donnaient satisfaction à ceux qui attachent du prix à la conservation des monumens. Cette satisfaction devenait plus complète avec l’organisation successive des archives nationales par des mains savantes de plus en plus expérimentées.

Tous les vandales, on le voit trop, ne furent pas des plébéiens ignorans et fanatiques. L’histoire dans ses documens fut plus d’une fois sacrifiée par des hommes de science. Des bibliophiles dilapidèrent les livres ; des artistes voulurent abandonner à la destruction les produits de l’art du moyen âge. Il fallut que d’autres artistes, plus sympathiques ou plus respectueux pour ces débris d’une époque alors dépréciée, fissent les plus grands efforts pour en recueillir les monumens. Enfin on vit des lettrés pousser à la mutilation des beaux livres de luxe qui portaient sur leur couverture les emblèmes de la royauté. Qui pourrait le croire, si on n’en avait les preuves trop authentiques ? Un membre de cette Académie française qu’un décret sans excuse avait supprimée, un critique célèbre, malheureusement connu par d’autres emportemens d’un zèle révolutionnaire trop soudain pour n’être pas soupçonné d’un calcul inspiré par la peur, La Harpe lui-même, dans un article du Mercure du 15 février 1794, demandait la suppression des armoiries royales des livres de la Bibliothèque nationale. On objectait qu’un tel travail ne coûterait pas moins de 4 millions. La Harpe, tout en contestant le chiffre, ne s’en effrayait pas. « Nous n’en sommes pas, écrivait-il, à 4 millions près quand il s’agit d’une opération vraiment républicaine. » Singularité d’une époque féconde en contrastes inattendus, tandis que cet écrivain d’un caractère faible et irritable, mais inoffensif, commentait les tragédies de Racine, coiffé d’un bonnet rouge, et dénonçait aux proscripteurs les reliures de l’ancien régime, un homme tout autrement redoutable, un approbateur, un complice des massacres des prisons, un signataire des affreuses circulaires du 2 septembre, déployait en