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le remède a sa valeur, quoiqu’on ne puisse s’empêcher de remarquer qu’il nous a été donné de voir des révolutionnaires fort lettrés n’avoir pas plus de respect pour les monumens. En tout cas, il faut avouer que le remède indiqué par l’abbé Grégoire était un peu lent, comparé au mal.

Une des parties les plus curieuses et plus incontestables des pertes causées par le vandalisme se rapporte aux bibliothèques. Ces grands établissemens, outre leur caractère d’utilité publique, représentent un des côtés du luxe national. Les richesses qu’elles renfermaient, et dont la dégradation constitue une double atteinte portée à l’art et à la fortune publique, ont à l’époque révolutionnaire souffert au-delà de ce qu’où suppose habituellement. On en a la preuve dans un assez grand nombre de documens du temps, parmi lesquels les recherches de Grégoire tiennent encore une place des plus notables. Il parle des livres avec un véritable enthousiasme. Il demande qu’on remette en lumière beaucoup d’ouvrages remarquables par la beauté de l’exécution, tenus dans l’ombre systématiquement, à ce qu’il croit, par l’ancien régime, parce qu’ils accusaient les vices ou les crimes des princes, ou parce qu’ils racontent les glorieux exploits de la liberté. Au reste, l’évêque de Blois, en bon républicain, ne veut pas que les beaux volumes, c’est-à-dire les livres magnifiquement habillés, absorbent seuls l’attention ; il pense à la plèbe, aux bouquins. Il veut qu’on les catalogue avec soin. Ils valent mieux parfois que les livres reliés en maroquin et dorés sur tranches. Qu’il y ait d’ailleurs des livres de luxe, soit ; mais que la lecture ne soit pas un luxe, que les bibliothèques s’ouvrent à tous ! Et ainsi des statues et des tableaux. Tous ces dépôts allaient s’accroître de magnifiques envois faits par nos armées victorieuses. Le rapporteur les célèbre dans un langage presque lyrique. « Outre les planches de la magnifique carte de Perrari, dit-il, vingt-deux caisses de livres et cinq voitures d’objets scientifiques sont arrivés de la Belgique ; on y trouve les manuscrits enlevés à Bruxelles dans la guerre de 1742, et qui avaient été rendus par stipulation expresse du traité de paix en 1769. La république acquiert par son courage ce qu’avec des sommes immenses Louis XIV ne put jamais obtenir. Crayer, Van Dyck et Rubens sont en route pour Paris, et l’école flamande se lève en masse pour venir orner nos musées. » Le beau joue un rôle, on le voit, à côté de l’utile dans les préoccupations du savant évêque de Blois. Il n’est pas tellement égalitaire en fait de livres qu’il n’attache un juste prix à tout ce qui représente une valeur d’art. C’est ainsi, dit-il encore, que le missel de Capet à Versailles allait être livré pour faire des gargousses lorsque la Bibliothèque nationale s’empara de ce livre, dont la matière, le