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autorité morale figurée par l’église. Pour ceux que le mouvement révolutionnaire entraînait, tout ce qui venait de l’assemblée se revêtait d’une sorte de consécration. Et que sera-ce si la bouche qui avait laissé tomber l’oracle était celle de quelqu’un des chefs populaires qui personnifiaient pour la foule les lumières et la vertu ! Ce serait un travail ingrat, auquel chacun peut d’ailleurs suppléer avec ses souvenirs, que d’aller rechercher tous ces discours qui, avidement lus, commentés par des hommes d’un tempérament exalté ou jetés par la violence des événemens hors de leur nature, pouvaient se traduire par des voies de fait.

Est-il besoin de mesurer la portée des discours quand il y a des actes ? Il y en a un surtout, le décret du 1er août 1793. Ce décret établit qu’à quelques jours de date on devra détruire, dans toutes les églises, d’un bout de la France à l’autre, tout ce qu’il y a de tombes royales. Ce fut comme un coup de tocsin. On désignait un objet spécial à la haine d’un peuple soulevé déjà. Et comment ne se serait-il jeté avec la même furie sur d’autres symboles non moins détestés et beaucoup plus multipliés ? On précipitait par là le peuple dans les églises. Mais, dit-on, il ne s’agissait que d’exhumer les personnes royales, et non de détruire les tombeaux. Pourquoi faut-il que cette interprétation, qui réduit le décret à une exhumation, ce qui n’est qu’une circonstance très médiocrement atténuante, ne soit pas conforme au texte ? Il porte : « Les tombes et les mausolées des ci-devant rois élevés dans l’église de Saint-Denis, dans les temples et autres lieux, dans toute l’étendue de la république, seront détruits le 10 août. » Quoi de plus formel ? Et quelles ne furent pas les conséquences immédiates de ce décret ! La municipalité de Saint-Denis, impatiente de mettre à exécution une mesure qui, outre ce qu’elle soulève d’objections générales, ôtait à cette localité ce qui en faisait la gloire devant le monde entier et la principale richesse, n’attendit même pas la date du 10 août assignée par la convention pour se mettre à l’œuvre. La présence d’un des membres de la convention n’empêcha pas les dévastations qui eurent lieu dans les journées du 6, du 7 et du 8 août. Même quand il eût été vrai qu’il ne se fût agi que d’une exhumation, elle ne pouvait se faire sans entraîner des dégradations inévitables. « On a été obligé, dit le commissaire de la convention dans son rapport, de briser la statue couchée de Dagobert, parce qu’elle faisait partie du massif du tombeau et du mur. » S’imaginer qu’il suffisait de prescrire par un décret ultérieur de ne pas endommager les objets d’art pour qu’il en fût tenu compte, c’est trop d’illusion. Exhumer, c’était saccager. Livrer au peuple des tombes royales renfermant des valeurs précieuses, c’était, quoi qu’on tentât pour s’y opposer, inviter au pillage. Nous