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encore, dans l’absence de tout idéal métaphysique, ce sentiment de fidélité à la personne du maître !

La version de Dion Cassius diffère peu de celle de Plutarque, rédigée, comme on sait, d’après le témoignage d’Olympus, médecin de la reine. « Quelques légères piqûres au bras furent tout ce qu’on trouva sur le cadavre. Les uns racontent qu’elle fit servir à son dessein un aspic apporté dans une fiole de verre ou dans une corbeille de fleurs, d’autres parlent d’une aiguille empoisonnée. » Octave resta frappé du coup. « Ce fut, ajoute Dion Cassius, comme si par cette mort volontaire toute sa gloire à lui, tout l’éclat de sa victoire eût disparu ! » Et cette Rome, cette Italie que l’impatience dévore, qui n’aspirent qu’à se repaître des tortures d’humiliation infligées à l’Égyptienne ! Cléopâtre ! Mais c’est le point de mire à tous les anathèmes, l’indispensable diversion à toutes les colères suscitées par la guerre civile, à toutes les compassions que le souvenir d’Antoine peut réveiller ! Il lui faut sa captive, sa reine : elle est morte, elle revivra ; on court chercher des psylles, ils arrivent, opèrent ; peine perdue !

On trouvera dans l’ouvrage de M. Stahr une très intelligente discussion de ces diverses sources. C’est de la critique judicieuse, mordante, sachant dire son fait à tout le monde, et ne ménageant pas plus les anciens que les modernes. Cela se voit et à la manière dont les fameux mémoires d’Auguste sont appréciés en tant que témoignages véridiques, et à la façon très nette et très leste dont l’auteur allemand relève chez Drumond certaines de ces erreurs que les historiens se passent d’un siècle à l’autre, comme les traducteurs se transmettent leurs contre-sens. Il convient aussi de dire qu’un monographe a toujours beau jeu pour enferrer son adversaire, quand il se bat sur un terrain spécial. Laissons aux savans la controverse ; rapprocher des opinions, inventorier, ce ne sont point là nos affaires. Plutarque et Shakspeare ont été nos maîtres pendant tout le cours de cette étude ; qu’ils nous conduisent jusqu’au bout. Soyons de leur avis, qui est aussi l’avis d’Horace. D’ailleurs, que le poison vînt d’un reptile ou d’une fleur, qu’importe ? Celle qui le fit couler dans ses veines n’était point une personne vulgaire ; fut-elle une grande reine ? Ce qu’il y a de certain, c’est que Rome s’enrichit fort à cette conquête, d’où il ressort que même en ces derniers temps le gouvernement de l’Égyptienne, pour si désastreux qu’on nous le donne, n’avait du moins pas réussi à ruiner complètement les ressources du pays. « Les trésors rapportés étaient incalculables, écrit M. Stahr ; outre qu’ils suffirent à payer à l’armée l’arriéré de solde, chaque homme reçut deux cent cinquante drachmes, et cent drachmes chaque citoyen, y compris les