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mouvemens à lui eussent dépendu. À peine vit-il cingler le navire, il oublia tout ce qui se passait, et, plantant là combattans et blessés, il se jeta dans une trirème rapide, emmenant Alexas et Skellius à la poursuite de celle qui, perdue, allait l’entraîner dans sa perte. » Velleius est plus laconique : « Cléopâtre la première prit la fuite ; Antoine, plutôt que de continuer à se battre au milieu de ses soldats, préféra accompagner la reine. L’imperator, dont c’eût été le devoir de châtier les déserteurs, déserta lui-même sa propre armée. » Et la bataille n’était pas perdue ! Dion Cassius donne une autre version, qui pourrait bien être la vraie : « lorsque la flotte égyptienne s’éloigna, l’idée ne lui vint pas que ce fût sur un ordre de la reine ; il cru à une panique générale, et s’élança pour rallier l’escadre et la ramener au combat. » Peut-être espérait-il avec cet appoint décider la victoire. C’était trop tard. Cléopâtre refusa de rentrer dans l’action, ses officiers déclarèrent qu’ils n’obéiraient à d’autre volonté que la sienne, et le malheureux Antoine n’eut qu’à se laisser emporter à la dérive. On a parlé de trahison. Quel intérêt Cléopâtre avait-elle à trahir Antoine à ce moment, — Antoine qu’elle aimait, son époux, le père de ses enfans, l’homme à qui elle devait tout, et sur le génie et la puissance duquel reposait encore son avenir ? Non, dans ce désastre d’Actium, le crime ne fut pour rien ; il n’y eut que la faute d’une femme, et cette faute datait du jour où Cléopâtre, s’obstinant à ne pas vouloir laisser Antoine agir seul, entrava, compromit et perdit tout par sa présence.

Le mouvement d’opinion qui souleva Rome et l’Italie, la défection de tant de partisans, le sourd mécontentement de l’armée, la lenteur des opérations, les défaillances d’Antoine, combien de funestes conséquences l’éloignement de la reine n’eût-il pas évitées ! Ce n’était point assez d’avoir exigé qu’on se battît sur mer ; elle voulut être à la fête, à la peine, et sa présence, disons le mot, ensorcela la bataille. De trahison, il n’y en eut point. Est-ce à prétendre qu’il y en ait jamais eu ? « Les femmes ne sont pas fortes dans la meilleure fortune ; mais la nécessité déciderait au parjure la vertu même d’une vestale. » C’est l’idée du César-Octave de Shakspeare, virtuose passé maître dans l’art de spéculer sur les faiblesses et les vices de ses adversaires, Attendre et voir venir, à ce métier-là on gagne peu de gloire ; mais en revanche comme le temps travaille pour vous ! Ainsi lui sont tombés entre les mains Sextus Pompée, Lépide. Le visage humain ne ment pas : j’examine, j’étudie les bustes du Vatican, de la villa Borghèse, les statues du cabinet des bronzes à Naples, de la galerie des Offices à Florence. J’observe cette figure dans les trois périodes de la vie : l’adolescent du musée Chiaramonte répond à l’homme mûr de la villa Borghèse, au vieux potentat de la galerie des Offices. Les traits, ordinaires au début,