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l’exploiter à son profit. Il s’est produit ce fait d’une espèce de rivalité, de concurrence entre l’opposition et le gouvernement, cherchant tous deux à capter en quelque sorte la multitude. Comme on avait fait du suffrage universel la base de toutes les institutions, comme c’était là qu’il fallait aller chercher son point d’appui pour arriver à quelque chose, on a été amené de part et d’autre à le flatter par les moyens les plus divers. On a spéculé sur les aspirations du peuple. L’opposition a cherché là son point d’appui, le gouvernement s’est défendu en en faisant autant. Je crois qu’en se laissant aller à cette pente, il allait contre son premier intérêt de même que contre sa véritable mission et contre les intérêts conservateurs et sociaux dont il était avant tout le gardien…

« Toujours est-il que dans cette espèce de course au clocher qui s’exécutait entre le gouvernement pour se défendre et l’opposition pour l’attaquer, on a livré en quelque sorte au jour le jour à la démocratie tout ce qu’elle demandait en lui faisant à peu près chaque année une nouvelle concession. C’est ainsi qu’on est arrivé à ce socialisme indirect qui n’était pas toujours ouvertement avoué, mais qui n’en était pas moins dangereux sur le terrain de la législation. On est arrivé à exciter les passions démagogiques et populaires sous le prétexte d’amélioration du sort des classes ouvrières. On a fait des concessions petites en apparence, mais en réalité très graves par rapport à l’ordre public… On a changé à peu près je ne dirai pas toute la législation, mais toute la jurisprudence, toutes les traditions, toutes les précautions que l’administration avait adoptées contre certaines difficultés qui se présentent incessamment dans une société comme la nôtre. On en est venu à permettre aux ouvriers de s’organiser en corporations avec une espèce de syndicat pour chaque profession ; c’était un terrain sur lequel l’administration luttait depuis soixante ans…

«… On disait au gouvernement de l’empereur : Il faut désintéresser les classes ouvrières de la politique. Pourquoi ont-elles fait de l’opposition, pourquoi ont-elles fait des révolutions, ces classes ouvrières ? C’est uniquement parce qu’on les a tourmentées, parce qu’on a restreint leur liberté sur le terrain économique et industriel. Si vous leur donnez la liberté sur ce terrain, vous n’aurez plus d’opposition de leur part, les partis ne pourront plus les exploiter. Désistons-nous donc, a-t-on ajouté, de ces droits préventifs, de ces précautions excessives. Soyons libéraux : On a donc été censé faire de la liberté, on a saisi toutes les occasions de pratiquer ce soi-disant libéralisme industriel et économique qui devait détacher la masse populaire des agitations politiques… C’est ainsi qu’on a fait la loi sur les coalitions… »

Tout se lie invinciblement. La loi sur les coalitions entraînait la loi sur les réunions publiques, des dispositions législatives nouvelles sur les associations, bien d’autres choses encore. Or