ainsi que ses portraits restèrent en Égypte. C’est à cet acte pieux que se rattache peut-être l’absolue disparition de tant de monumens si regrettables. A Rome probablement, tout n’aurait pas péri ; en même temps que bien d’autres chefs-d’œuvre, quelques restes auraient surnagé de ces marbres, de ces peintures, où le génie grec devait tant de fois s’être appliqué à reproduire cet idéal de formes et de physionomie.
Un linéament symbolique en plein désert, un griffonnage sur le mur d’un temple croulant, voilà donc l’unique répertoire ! Béatrice Cenci, dona Lucrezia, Mona Lisa, où sont-ils, vos Léonard, vos Raphaël, vos Titien ? « Savez-vous que vous finiriez par me rendre jalouse de ce fantôme ? disait une femme d’esprit à son amant. Passionnez-vous tant qu’il vous plaira pour des vivantes : si belles qu’elles soient, je ne les crains guère, car je sais que pas une d’elles ne vous aimera comme moi ; mais ces figures de marbre que vous animez de toutes les flammes de votre cœur et de votre imagination, je les redoute, et, si vous voulez que je dorme tranquille, ne me parlez plus de votre Cléopâtre ! » L’imagination, c’est en effet l’unique ressource ; dans l’absence de toute information pittoresque, essendo carestia, l’esprit travaille, cherche à reconstruire, des anciens descend aux modernes, pour remonter ensuite par Shakspeare à Plutarque ; ne pouvant copier, on recompose, on s’abandonne à cette idée secrète qui vous vient à l’âme. Essayons du système, cherchons l’idole sous les bandelettes sacrées, fouillons comme des sarcophages tous les livres récemment publiés[1], Drumond, Merivale, Adolphe Stahr surtout ; interrogeons-les, utilisons-les. « Je vais à elle malgré moi, comme l’oiseau va au serpent ! » Ainsi de certains sujets : ils vous attirent, vous fascinent, vous absorbent. Pourquoi parler de rajeunir ? Est-ce que l’idéal vieillit jamais ? Les types sont immortels ; on ne les rajeunit pas, on les évoque. C’est affaire d’imagination, d’analyse psychologique et de pur sentiment. « La muse seule peut prêter de la vie à la mort, » dit l’Euphrosine de Goethe, et je complète la pensée en ajoutant : que de taches peut aussi effacer la muse !
C’était au lendemain de Philippes, Antoine touchait au point culminant de sa fortune. Le petit-fils de Jupiter et de Sémélé, — on sait qu’Antoine, comme César, était de la maison des dieux, — pouvait alors avoir quarante ans, l’âge sous lequel on se représente
- ↑ Merivale, The Roman Empire, — Drumond, History of the Romans under the Empire, — Ad. Stahr, Cleopatra.