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les élémens de perturbation concentrés à Paris se cherchent, se disciplinent, s’exaspèrent et s’encouragent au combat. C’est sous l’impression démoralisante de la capitulation du 28 janvier 1871, c’est dans l’effroyable vide ouvert tout à coup sous nos pieds que s’organise l’insurrection du 18 mars. Tout s’enchaîne, tout se plie à cette redoutable logique qui, après avoir courbé la France désarmée de sa puissance militaire devant l’ennemi extérieur campé à Versailles, la laisse désarmée d’institutions et presque de gouvernement devant l’ennemi intérieur retranché à Paris. Voilà la marche des choses. En apparence, l’empire ne compte dans ce triste enchaînement que pour la témérité aventureuse d’une lutte mal engagée et pour les malheurs militaires qui en sont aussitôt la foudroyante expiation ; en réalité, il est pour beaucoup dans cet état moral où tout est devenu possible après lui. C’est lui qui a développé et fomenté tous ces germes funestes dont la révolution du 4 septembre n’a fait que hâter la maturité en les mettant à nu. L’enquête le dit, les hommes les plus attachés au régime impérial l’avouent ; un des plus hauts fonctionnaires de la préfecture de police, aujourd’hui député, M. Mettetal, ne cache pas qu’à la fin, sous des dehors de puissance, le mal était déjà profond, et que ce mal était en partie l’œuvre du gouvernement. Le premier des responsables dans la situation d’où est sorti le 18 mars, c’est l’empire.

Les gouvernemens ont leur destin, et ne se transforment pas à volonté. L’empire avait voulu se faire libéral dans les dernières années de son existence. C’est ce qui l’a trompé lui-même, c’est ce qui a trompé bien des esprits toujours disposés à se prêter aux bons mouvemens. Au fond, rien n’est plus clair aujourd’hui, c’était un malentendu. L’empire se sentait partagé entre l’instinct de sa sûreté, qui l’avertissait que sa force autoritaire commençait à s’user, qu’il était obligé de se renouveler, et le pressentiment inquiet des dangers de toute sorte qu’il pouvait trouver dans l’abandon des procédés par lesquels il s’était fondé et avait vécu. De là cette politique pleine d’ambiguïté à laquelle il se laissait aller, devançant ou déroutant quelquefois l’opinion par des concessions inattendues ou équivoques, donnant et retenant en même temps, essayant de tout sans conviction, s’affaiblissant comme gouvernement absolu sans s’assurer les avantages d’un sérieux système de libertés régulières, et finissant par réunir les inconvéniens de tous les régimes. Que serait devenu l’empire, s’il n’avait pas péri par la guerre ? Nul certes ne peut le dire. Toujours est-il que, pendant quelques années, il avait amassé autour de lui, au sein de la société elle-même, assez d’incohérences, assez d’élémens inflammables pour courir le risque un jour ou l’autre de disparaître dans une explosion soudaine, ou,