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entrevu la tête de Méduse, c’est-à-dire la séparation de l’église et de l’état. Les conséquences s’enchaînent dans un ordre fatal, et il serait téméraire de nier que l’opinion publique ne puisse réclamer un jour pour l’Angleterre une réforme qu’elle a déjà obtenue pour l’Irlande. Toujours est-il que dans le présent il s’agit de tout autre chose : la Grande-Bretagne a reconnu qu’un meilleur système d’éducation nationale était absolument nécessaire à la réorganisation de son armée, à la solidité morale de sa flotte, au développement de son commerce et de son industrie : s’arrêtera-t-elle devant l’éternel obstacle qui a défié jusqu’ici toutes les tentatives personnelles, toutes les ressources de l’état ? Ce ne serait guère dans le caractère anglais. Il faut distinguer entre le sentiment et les principes : chez nos voisins, le sentiment est religieux, les principes sont d’accord avec la raison et l’intérêt général. La théologie n’a rien à voir dans la politique. Las libéraux anglais ne veulent point, comme on l’a dit, faire la guerre à Dieu : ils font la guerre à l’ignorance, ce sombre génie du mal. Le temps leur a démontré qu’ils devaient ou renoncer aux écoles publiques ou séparer deux élémens qui se nuisent et se contredisent sans cesse dans la pratique. C’est surtout au point de vue de l’honneur national et de l’utilité qu’ils envisagent la situation : est-il avantageux pour un peuple de défricher le champ des intelligences ? Est-il sage de rattacher à la cause de l’ordre et du travail des forces morales qui, faute de culture, se perdent dans le vice ou dans l’oisiveté ? N’est-il pas plus digne pour un pays civilisé d’étendre chez lui le domaine infini de la science que de faire la guerre à ses voisins pour leur arracher un lambeau de terre ? S’il en est ainsi, la liberté, qui à déjà résolu bien d’autres problèmes, doit trancher tôt ou tard le nœud gordien et affranchir l’éducation, que les Anglais appellent pour l’homme une seconde naissance, second birth, en même temps qu’ils la considèrent pour le citoyen comme le plus solide rempart des droits et des garanties politiques. Une nation peut s’accroître par la victoire, elle ne grandit que par la diffusion des lumières.


ALPHONSE ESQUIROS.