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l’obligation de fournir à tous les moyens d’apprendre à lire. Les Américains des États-Unis, dont les Anglais suivent les progrès avec inquiétude, ne considèrent-ils point l’éducation comme absolument nécessaire non-seulement à leur bien-être et à leur succès, mais à leur existence même en tant que citoyens libres ? Une autre considération très forte chez un peuple essentiellement pratique était l’état du commerce et de l’industrie. Depuis quelques années, nos voisins se sont aperçus que les produits de leurs fabriques rencontraient sur les marchés étrangers une concurrence redoutable. Les manufactures des États-Unis envoient aujourd’hui dans les nouvelles colonies et les contrées lointaines des ouvrages de quincaillerie qui battent sur place les articles anglais. D’un autre côté, les marchandises de l’Allemagne ont supplanté dans ces derniers temps quelques-unes des branches les plus florissantes de l’industrie britannique. On s’est alors demandé si cette décadence relative ne tenait point à ce que les ouvriers allemands et américains étaient plus instruits que les artisans anglais, et si, pour maintenir sa place dans le monde, pour défier la concurrence de ses rivaux, la Grande-Bretagne ne devait pas éclairer les enfans du peuple. Les habitans du royaume-uni n’avaient-ils pas chez eux un exemple frappant de l’infériorité industrielle et commerciale que produit l’ignorance ? D’où vient que l’Ecosse est beaucoup plus florissante que l’Irlande ? L’étendue du territoire est à peu près la même, le sol de l’Irlande est plus fertile que celui de l’Ecosse, la population de l’ancienne Calédonie est beaucoup moins nombreuse que celle de l’île-sœur ; à quoi donc peut tenir la différence, sinon à l’inégalité de culture intellectuelle ? La race écossaise est avide de s’instruire. De malheureux enfans s’engagent pendant l’été dans des travaux pénibles, et amassent ainsi sou par sou une petite somme pour payer les frais de leur éducation durant l’hiver. Dans les highlands, une famille de gipsies avait planté sa tante près d’une école : une des femmes de la tribu, gagnée par les conseils des mères écossaises et par la contagion de l’exemple, envoya ses enfans à cette même école avec ceux des fermiers. Beaucoup parmi les artisans et les agriculteurs ne se contentent point de l’instruction primaire. Il n’est pas rare de voir des apprentis forgerons battre le fer pendant la journée et le soir suivre les cours de l’université. Un berger étant tombé malade lisait dans son lit un auteur grec pour se distraire. Ce goût de l’étude n’a certes point été étranger au développement industriel et commercial de l’Ecosse. L’esprit est un élément dont il faut tenir compte dans la production des richesses. Ce n’est point le fer, ce n’est point le charbon, ce n’est point le cuivre, qui font la prospérité de l’Angleterre, c’est le cerveau de l’Anglais qui exploite ces