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pouvait éloigner un grand nombre d’emprunteurs, qui n’aiment pas l’inconnu ; puis le Crédit foncier lui-même n’était pas sûr de réaliser toujours les sommes dont il aurait besoin. Comment d’ailleurs en prévoir d’avance la quotité, et que ferait-on de l’argent en attendant que les demandes de prêts se produisissent ? C’étaient de nouveaux embarras qui paralysaient l’essor de l’entreprise ; elle ne sortit de toutes ces difficultés que le jour où elle fut autorisée, à l’exemple des sociétés allemandes, à prêter en lettres de gage ou obligations que d’emprunteur négocierait à ses risques et périls. Ce jour-là, elle avait trouvé sa voie et son crédit devint inépuisable. Cette autorisation lui fut accordée par décret en date du 24 juin 1856. « Le prêt en lettres de gage, dit justement M. Josseau, c’est le crédit foncier dans son vrai caractère, dans sa propre nature. Le jour où l’emprunteur peut accepter indifféremment ou du numéraire, ou une obligation qui lui procure ce dont il a besoin, le signe représentatif de ila propriété immobilière est trouvé. La lettre de gage est à l’immeuble ce que le billet de commerce est à la marchandise, le crédit réel existe dans toute sa puissance. »

Le Crédit foncier se chargea souvent lui-même de la négociation des titres qu’il émettait à l’emprunteur, il lui fit aussi des avances avec les fonds qu’il avait en comptes-courans, et obtint de la Banque de France qu’elle en ferait également. A partir de ce moment, les progrès furent considérables, et on put croire à la vérité de ce que nous disait à l’origine du Crédit foncier un homme fort éclairé qui avait contribué à l’établir et qui en est encore l’administrateur, M. Bartholony : « c’est un gland qui deviendra un Chêne. » Le gland mit quelque temps à germer, mais le chêne est enfin apparu. Au commencement de l’année 1870, la société nouvelle avait réalisé pour 1 milliard 192 millions de prêts hypothécaires et pour 711 millions de prêts communaux, en tout 1 milliard 903 millions. C’est peu encore par rapport au chiffre de la dette hypothécaire, qui passait pour être dès 1852 de plus de 8 milliards ; mais c’est beaucoup eu égard à la durée de la société, qui n’a que vingt années d’existence : elle a déjà obtenu des résultats supérieurs à ceux des sociétés allemandes, dont l’origine remonte pour la plupart à plus d’tan siècle. Cela prouve au moins que, si nous avons quelque peine à nous résoudre aux innovations, nous les faisons progresser plus vite qu’ailleurs lorsque nous les avons une fois acceptées. Le mérite de ce succès rapide revient d’abord aux fondateurs du Crédit foncier, à M. Wolowski, qui en a été le premier directeur, à M. Josseau, qui en a élaboré les statuts, enfin à l’initiative intelligente de M. Fremy, le gouverneur actuel.

On a beaucoup reproché à cet établissement d’avoir favorisé les prêts urbains au détriment des prêts ruraux, et d’avoir trop aidé surtout aux dépenses somptuaires de la transformation de la capitale. Ces reproches ne sont pas sans fondement. Il est sûr que la société nouvelle, trouvant une source de bénéfices facile et très féconde dans les prêts qu’elle