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autorité dès le premier jour ; il a donné un conseil d’homme d’action, qui n’a peut-être pas plu à ceux qui avaient un discours à faire.

Si on avait écouté le général Chanzy on se serait épargné quelques incidens qui, sans changer le sort définitif de la loi, ne laissent pas d’être pénibles. M. le colonel Denfert-Rochereau, qui a eu l’honneur de défendre Belfort, serait resté avec sa gloire, sans avoir l’occasion de développer des idées qui rendraient toute discipline impossible, qui ont provoqué les protestations du général Changarnier, et il ne se serait pas exposé à échanger les plus regrettables paroles avec un des plus illustres vétérans de nos guerres, qui a oublié son âge pour aller au feu en simple volontaire du dévoûment et de l’honneur. M. le général du Temple ne se serait pas laissé entraîner à des divagations et des récriminations auxquelles M. Gambetta a répondu de la façon la moins parlementaire. Un autre député, croyant répondre avec esprit à un de ses collègues qui jugeait à leur vraie valeur les traditions militaires de 1793, n’aurait pas cédé à la tentation de dire : « Allez à Coblentz ! » Celui-là ne s’est pas souvenu qu’il ne faisait que répéter ce que les plus violens séides de l’empire criaient à M. Thiers le 15 juillet 1870, le jour où celui qui devait être président de la république s’efforçait encore de détourner la guerre : tant il est vrai qu’entre certains radicaux et les partisans de l’empire la distance morale n’est pas aussi grande qu’on le croit ! Oui, tout cela aurait pu être évité avec avantage pour tout le monde, si on eût écouté le général Chanzy, qui avait certainement montré du coup d’œil et du sens politique dans le conseil qu’il donnait ; mais on n’a pas écouté le général Chanzy, et on a fini par lui donner raison plus qu’il ne l’avait peut-être prévu lui-même.

Assurément cela ne veut point dire que cette discussion soit tout entière dans quelques détails secondaires, dans quelques violences épisodiques. Elle a été au contraire sérieuse et brillante par instans. Elle a offert notamment à M. le duc d’Aumale l’occasion de paraître pour la première fois à la tribune. Qu’allait être M. le duc d’Aumale à la tribune ? On s’attendait peut-être à voir poindre un prétendant venant exposer ses titres, en produisant à l’appui quelque manifeste politique. Point du tout, il n’en a rien été absolument. Le prince s’est exprimé tout simplement, avec netteté, avec une précision élégante et ferme, avec un sens très fin et très pratique des choses, en soldat expérimenté et en homme instruit. Il a parlé de ce qu’il sait et de ce qu’il aime, de l’armée, du drapeau de la France, de ce drapeau tricolore qui, après avoir été un emblème de gloire, reste un symbole d’union et de concorde dans le malheur, et en parlant ainsi il a eu le succès qu’il méritait. De tous ces discours qui ont été prononcés, un des plus curieux à coup sûr est celui du général Trochu, qui a fait l’aveu qu’il n’avait accepté le mandat de député que pour pouvoir exposer une dernière fois ses vues sur l’ar-