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raison sur quelques points. Si l’on veut, il aura découvert les erreurs des autres sans s’apercevoir de celles qu’il commettait lui-même, et quand cela serait vrai, en quoi l’empire serait-il bien sérieusement réhabilité ? Est-ce qu’un esprit avisé comme M. Rouher a pu se méprendre à ce point de placer aujourd’hui la question dans d’obscurs détails ?

La responsabilité de l’empire, elle n’est point seulement à coup sûr dans quelques marchés bâclés en toute hâte avec les premiers traitans venus, sous l’impression des défaites du mois d’août 1870 ; elle est dans cet ensemble de procédés administratifs décrits d’un trait si énergique par M. d’Audiffret-Pasquier, et qui ont conduit notre pays à une situation qu’on n’aurait jamais connue tout entière sans ces dépêches qui se sont échappées de toutes les archives au lendemain du 4 septembre. Ici c’est un général qui demande où sont ses régimens, qui ne peut arriver à les trouver ; là ce sont des intendans qui font savoir au plus vite que les corps d’armée n’ont ni infirmiers, ni ouvriers d’administration, ni caissons d’ambulances, ni vivres ; ailleurs c’est un général en chef qui prétend qu’il ne peut soutenir deux jours de bataille, parce qu’il craint de manquer de munitions ; plus loin, ce sont des commandans de places frontières qui préviennent qu’ils n’ont ni garnisons suffisantes ni approvisionnemens. Partout c’est le désordre et l’incohérence ; qui donc a créé cette confusion, où la nation la plus guerrière du monde se trouve abattue et désarmée d’un seul coup, presque avant d’être entrée en campagne ? La responsabilité de l’empire, elle est dans cet étrange système qui a conduit les affaires de la France de telle façon qu’au premier signal de guerre on n’a eu que 200,000 hommes à porter sur la frontière, 200,000 hommes qu’on a fractionnés encore pour multiplier les commandemens supérieurs. La responsabilité de l’empire, elle est dans l’affaiblissement des mœurs militaires, dans la décadence de l’instruction, par-dessus tout enfin elle est dans la politique qui a préparé ces événemens, qui a laissé se former ces orages, dans cette politique qui inspirait à M. Rouher lui-même les « angoisses patriotiques » dont il faisait un jour l’aveu en plein corps législatif.

À cette époque, ce n’était pas pourtant la liberté parlementaire qui gênait le gouvernement ; il suffisait que M. Thiers fît entendre un dramatique avertissement à la veille de la guerre de 1866, pour qu’on lui répondît par le discours d’Auxerre, par quelques mots qui ressemblaient à un encouragement envoyé à la Prusse. Au nom de la France, on promulguait dans des lettres sibyllines le programme de la « neutralité attentive, » — fort attentive en effet, si attentive qu’elle a vu tout faire, qu’elle a laissé tout faire, et que nous n’avons plus aujourd’hui ni Strasbourg ni Metz ! L’empire serait innocent de tous les marchés Chollet, Jackson ou van Wiver, qu’il ne resterait pas moins coupable d’avoir préparé, d’avoir rendu inévitable la plus effroyable épreuve qu’ait subie