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mêmes nouvelles à Wittenberg, les lettres de Leipzig ont confirmé la victoire de la veille ; l’allégresse est générale. A Torgau, où il passe le 17, les officiers-saxons assurent que tout va bien, et que la guerre s’éloigne. Ce n’est qu’à Dresde qu’il apprend la vérité : l’écrasement complet de Hohenlohe à Iéna, la victoire de Davoust à Auerstaedt, où avec 26,000 hommes il avait arrêté la grande armée prussienne. Les troupes battaient en retraite dans le plus grand désordre. « Je quittai Dresde, deux jours après, dit Gentz ; les portes de l’espérance ont paru se fermer derrière moi sur l’Allemagne et sur l’Europe. » Il n’y avait plus de Prusse ; l’armée de Frédéric était détruite, et sa monarchie dispersée.


IV

L’effondrement fut effroyable. L’armée vaincue, le pays se laissa subjuguer presque sans résistance. Les autorités locales se soumettaient ; les places fortes se rendirent. Magdebourg capitula avec 18,000 hommes sur une menace de bombardement. Un bataillon d’infanterie s’empara de Cüstrin ; Stettin ouvrit ses portes à un régiment de cavalerie légère. Le prince de Hohenlohe, enveloppé à Prenzlow, se rend avec 16,000 hommes. En un mois, l’armée était abattue, les places occupées ; Napoléon avait 100,000 prisonniers. A Berlin, les ministres voulaient d’abord essayer de se défendre ; le gouverneur déclara que « la tranquillité était le premier devoir du citoyen, » et quitta la ville en y installant comme commandant le prince de Hatzfeld. Celui-ci défendit qu’on emportât les poudres ; il y en avait de grandes provisions, on craignait d’attirer la colère du vainqueur. Hatzfeld n’en était pas moins arrêté quelques jours après comme traître et espion, et n’échappait à la mort que par un miracle de clémence de Napoléon. Les fonctionnaires prussiens recevaient les ordres des autorités françaises et les exécutaient. « Sept ministres consentirent, sans demander l’autorisation du roi, à prêter le serment de fidélité à l’ennemi[1]. » La chute était complète, la désorganisation absolue. Rarement un peuple s’est affaissé si vite et si misérablement. les armées prussiennes ont envahi la France quatre fois depuis quatre-vingts ans ; elles ont vu crouler devant elles deux empires ; elles ont vu deux fois le peuple affolé se précipiter dans la révolution ; elles ont déporté des préfets, arrêté des otages, et forcé de vieux magistrats à monter, pendant les nuits d’hiver, sur des locomotives ; elles n’ont trouvé ni fonctionnaires

  1. Pertz.