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une part donné naissance à de nouveaux systèmes sur la maladie, ils procurèrent aux praticiens des drogues excellentes. C’est du XVIIIe siècle que datent l’emploi des sels purgatifs de magnésie, la découverte faite par Goulard de l’acétate de plomb et des énergiques propriétés astringentes qui le caractérisent, l’emploi, recommandé par Odier, des sels de bismuth. Dans le même temps, Van Swieten rendit célèbre la solution de sublimé corrosif qui a conservé son nom, et qu’il substitua aux incommodes préparations mercurielles usitées avant lui. Ces acquisitions utiles favorisaient sans doute le développement de l’art, mais elles n’éclairaient pas beaucoup la science en elle-même, et le moment approchait où il faudrait enfin se demander comment et pourquoi agissent ces drogues. On y avait à peine songé avant Bichat.

Bichat, après avoir renouvelé l’anatomie et la physiologie, puis la pathologie, eut aussi l’ambition de réformer la thérapeutique. Frappé de la confusion et de l’incertitude de cette science, il pensa qu’on pourrait la perfectionner en étudiant méthodiquement l’action des substances médicamenteuses non pas sur les maladies, qui sont des phénomènes complexes, mais sur les tissus. Dans ce dessein, il entreprit à l’Hôtel-Dieu, où il venait d’être nommé médecin, — il avait alors trente ans, — une série d’expériences précises touchant l’effet des remèdes. Plus de quarante élèves commençaient à l’aider dans cette besogne, et il rendait compte, dans chacune des leçons du cours qu’il faisait sur ces matières, des résultats obtenus ; mais le destin ne lui permit pas d’aller loin dans cette voie inexplorée, il succombait le 3 thermidor an X, à peine âgé de trente-deux ans. C’est ainsi que des travaux qui eussent dès le commencement de ce siècle imprimé une direction nouvelle à la thérapeutique furent étouffés par la mort du grand homme qui en avait conçu l’idée, et qui en aurait certainement poursuivi avec succès l’exécution difficile. A la vérité, cet étonnant génie était trop en avance sur son temps. Parmi les médecins qui vinrent immédiatement après lui, aucun n’aperçut l’importance ou ne se sentit capable de tenter la réalisation du programme de Bichat. La science devait attendre plus de cinquante ans les investigations qui ont ruiné l’empirisme et donné à la thérapeutique son établissement définitif. C’est à M. Claude Bernard que l’on doit cette rénovation, et il ne fallait pas moins pour l’entreprendre et la faire triompher que les qualités de ce biologiste, c’est-à-dire le vif et juste sentiment du déterminisme absolu des opérations de la vie, une conception hardie et nette des problèmes, une ingénieuse industrie et une savante précision dans les expériences.