trop ni trop peu d’espérance à l’électeur de Saxe[1]. » Voilà donc à quoi l’on s’occupait au quartier-général prussien, tandis que Napoléon s’avançait à marches forcées et accomplissais contre Brunswick l’une de ses belles et de ses plus audacieuses combinaisons stratégiques. Le vieux Kalkreuth, arrivé à Erfurt dans la journée, persiste dans ses sinistres prédictions. « Le terme fatal avance à grands pas, » dit-il. Le roi et ses ministres n’y paraissent guère songer ; ils discutent minutieusement les termes d’une proclamation à l’armée.
Le lendemain était le 10 octobre. Gentz eut une longue conversation avec Lucchesini. Assiégé par les plus tristes prévisions, inquiété au-delà de toute mesure par le spectacle des tergiversations auxquelles il assistait, Gentz veut s’éclairer sur les raisons qui ont déterminé la Prusse à risquer cette terrible partie et à précipiter ainsi les choses. Pourquoi choisir ce moment-là ? Les motifs étaient justes, les griefs puissans ; mais il n’y avait rien d’urgent en tout cela. Pourquoi ne pas attendre, ne pas familiariser en secret les autres puissances avec cette révolution politique ? La réponse de Lucchesini est curieuse. Elle nous montre que nous n’avons pas eu le monopole des situations ambiguës, des imprudences fatales, des fautes inévitables et des ministres au cœur léger. « La Prusse, dit l’ex-ambassadeur, avait perdu la confiance de l’Europe ; cette confiance ne pouvait être reconquise qu’à coups de canon. Si, sans entrer en guerre, elle avait fait des propositions à ses voisins, personne ne l’aurait seulement écoutée. Telle était la condition fâcheuse qu’elle se voyait obligée aujourd’hui de commencer par là où on aurait mieux aimé finir. »
Pendant qu’ils dissertaient de la sorte sur les origines de la guerre, une première catastrophe en présageait la fin. Un des corps avancés de la Prusse était écrasé à Lawfeld ; l’armée française s’enfonçait entre les positions ennemies. Gentz avait passé une partie de la nuit à rédiger ses notes : il partit le matin pour Weimar avec Haugwitz. Ce dernier était silencieux ; ce n’était point son habitude. Gentz flaira une mauvaise nouvelle : — J’ai mal aux dents, lui répondit le comte. Ils arrivèrent à Weimar à 11 heures. Les rues étaient encombrées de soldats, de chevaux, de canons, de chariots ; les ordres se croisaient, les officiers couraient en tout sens ; c’était une bagarre épouvantable, l’effarement de la première surprise, la stupéfaction qui suit le premier désastre. Les voitures s’arrêtent ; le conseiller de cabinet Lombard, qui se trouvait là, s’approche de Gentz. « Vous ne savez pas ce qui se passe, lui dit-il ; nous avons
- ↑ Il est désagréable de penser que dans le pays de Voltaire il ne s’est pas trouvé un seul homme d’esprit assez influent pour arrêter sur le chemin de l’imprimerie le ridicule bulletin de Sarrebrück.