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spécial de chaque article. C’était donc une discussion préliminaire qui rendait possibles les discours tranquillement et longuement consacrés aux principes mêmes du droit électoral. Sur ces hauteurs un peu métaphysiques, une joute des plus brillantes eut lieu entre M. Ghyczy, adversaire de la loi présentée, et M. Szilagyi, un tout jeune orateur, qui se chargeait de la défendre. Ce débutant de la tribune a montré comment un talent plein de jeunesse peut se concilier avec la sûreté de la science politique et la maturité de la réflexion. Rien n’est plus conforme à la tradition magyare ; dans les anciennes diètes figuraient, à côté des députés, sans pouvoir ni voter ni prendre la parole, mais avec le droit d’assister aux séances et de manifester leur opinion, ce que l’on appelait les délégués des absens. Les magnats qui ne pouvaient siéger à la chambre haute, les veuves des magnats qui avaient des fils mineurs, se faisaient représenter par de très jeunes hommes, pour la plupart voués à la carrière politique, et qui trouvaient ainsi au début de cette carrière un salutaire apprentissage de patience et d’attention. M. Szilagyi a prouvé qu’il était fidèle à cette école des anciens jours. Il a réclamé avec éloquence les droits des classes élevées, les droits de l’intelligence, et montré les dangers que pouvait faire courir au pays le chiffre brutal, le suffrage universel insuffisamment éclairé.

D’autres orateurs du parti Deák, M. Gabriel Kemény par exemple, ont défendu la loi sans en dissimuler les défauts, en signalant au contraire certaines inégalités, certaines injustices, qu’elle ne faisait point disparaître. L’opposition avancée mettait en regard de cette politique expérimentale et prudente, conforme au génie de l’Angleterre et de la Hongrie, les formules tranchantes et absolues de la révolution française. La langue elle-même s’en ressentait ; au milieu des éclats de l’éloquence sonore des Magyars, on entendait parler de la népsouverenitas (souveraineté du peuple), de l’incompatibilitas ; cependant, à part quelques personnalités blessantes, la discussion générale ne sortait pas des limites des convenances parlementaires, et le 5 mars l’ensemble du projet était accepté en principe par 42 voix de majorité.

Dès lors toute modération disparaît, du moins dans les rangs opposans. Les députés de la gauche convoquent leurs partisans pour une grande manifestation ; le rendez-vous est fixé à Pesth le 9 et le 10 mars, il y aura des discours suivis d’un banquet. Ce genre de réunions, que les souvenirs historiques rendent effrayant pour des lecteurs français, n’a rien de particulièrement dangereux chez les Magyars, non plus que chez les Anglais ; la gravité de la convocation était dans ce fait, qu’elle émanait du centre gauche et qu’elle s’adressait aux nuances même les plus radicales de l’opposition, qu’elle