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des lords, les chefs des grandes familles et les évêques. On peut se demander d’où vient cet acharnement contre la plus inoffensive des assemblées ; les séances des nobles pairs ne sont ni bien fréquentes ni bien longues, et la place qu’elles occupent dans les journaux est bien modeste. Il ne semble pas non plus que la passion politique dévore les magnats, car on leur reproche d’exercer trop rarement leur droit de présence parlementaire. Comme toutes les chambres héréditaires en ce siècle de démocratie montante, mais plus qu’en tout autre pays, ils paraissent ne plus croire à leur propre rôle, et ceux d’entre eux qui veulent exercer une influence sérieuse se font élire à la toute-puissante chambre des députés (Képviselö haz), Néanmoins la suppression de ce vénérable reste féodal est réclamée par les quarante-huit, qui détestent à l’égal des Habsbourg la vieille aristocratie du pays. Ainsi commencerait la démolition de l’édifice, mais ce ne serait qu’un début. Le suffrage universel, éclairé par une large instruction obligatoire, deviendrait la base de toutes les institutions, projet nullement chimérique en Hongrie, où se pratique depuis longtemps sur une grande échelle l’élection des administrations locales. Le vieux régime confessionnel, qui partage les citoyens en catholiques, luthériens, calvinistes, Israélites, serait remplacé par une absolue liberté de conscience, par l’indifférence religieuse de l’état. Plus de monopoles, beaucoup moins d’impôts. Les haines de race, si fatales à la Hongrie, disparaîtraient devant la fraternité des Magyars, des Slaves, des Roumains, et le plan de Kossuth, la fondation des États-Unis du Danube, serait bien près d’être réalisé. On peut se demander ce que deviendrait la royauté. Le parti quarante-huit se défend de tout projet révolutionnaire ; il déclare ne vouloir parvenir : à ses fins que par les moyens légaux, en respectant la dynastie établie, pourvu qu’elle respecte à son tour l’indépendance du pays. Il n’en est pas moins vrai que ce trône inutile ne tarderait pas à crouler, bien que dans le pays de la sainte couronne on hésite à s’avouer républicain.

En attendant, les réunions du mois de janvier ont révélé une divergence croissante entre les deux gauches. Des orateurs irréconciliables ont décoché au centre gauche l’épithète de « politiques lâches, » qu’ils réservaient jusque-là aux purs conservateurs. Quelques électeurs du comitat de Baranya, étant venus dire que leurs concitoyens avaient peur du radicalisme et voulaient fusionner avec l’opposition modérée, ont été hués et mis à la porte, ou peu s’en est fallu. C’est à peine si la majorité de cette réunion fougueuse a consenti à se coaliser avec les candidats du centre gauche dans les élections partielles ou générales, et cela seulement dans les cas où