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Allemands par une aversion commune pour les Slaves et leurs projets de fédération. D’autre part l’opposition, qui réclame sans cesse l’indépendance absolue de la Hongrie, compte sur l’unité allemande pour interdire à l’Autriche toute velléité de reprendre son ancien rôle. Mieux encore, elle compte sur la Prusse pour agrandir contre les Slaves, c’est-à-dire contre la Russie, dans un démembrement éventuel de l’Autriche, le royaume magyar. L’avenir et peut-être la simple réflexion montreront aux hommes d’état hongrois les périls d’une semblable alliance avec une nation qui peut bien par momens flatter les Magyars, mais qui n’a avec eux aucune sorte d’affinité. En attendant, les partis qui divisent la nation et le parlement de Hongrie auront donné prise à l’ambition allemande et contribué à faire accepter ses triomphes. D’un autre côté, les événemens extérieurs agissaient sur les partis, accusaient plus nettement leurs tendances, les soumettaient à un lent travail qui devait aboutir en janvier 1872 à des programmes nouveaux, en mars et avril à une crise aiguë, dangereuse pour l’empire tout entier.


II

Les deux partis opposans, le centre gauche et l’extrême gauche (balközép-szélsö baloldal), ont tenu dans les premiers jours de cette année des séances que l’on pourrait comparer aux « réunions » des diverses fractions de notre assemblée, avec cette différence, que nos députés ne délibèrent qu’entre eux, et qu’en Hongrie de nombreux électeurs, accourus de tous les comitats, venaient présenter leurs observations et recevoir ou donner le mot d’ordre. En aucun pays, l’électeur n’exerce une pression plus directe sur son mandataire, c’est là une tradition vieille comme la constitution hongroise ; le mandat impératif a été pendant des siècles une réalité précieuse aux yeux de l’aristocratique peuple magyar. De pareilles réunions, qui n’empêchent pas les fréquentes comparutions de chaque député devant ses électeurs, ont l’avantage de donner une idée plus complète des partis en montrant quelles sont, dans les diverses régions du pays, leurs variations, leurs inquiétudes, leurs exigences.

La gauche modérée n’a pas beaucoup changé depuis 1867 ; elle a cependant un peu plus résolument fixé son programme, en même temps qu’elle gagnait en influence et en discipline. Le chef de ce parti, M. Tisza, est un caractère énergique, une intelligence distinguée servie par une parole brève et saisissante ; il a toutes les qualités du leader sans oublier l’ambition. Sa place est marquée dans l’avenir comme premier ministre, et il n’y a pas lieu de craindre qu’il laisse passer l’occasion. L’orateur séduisant du parti est