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qui régnent à travers les grands siècles de notre histoire littéraire ; tous aiment notre vivacité, notre clarté, notre vigueur. Les souvenirs historiques, les plus anciens comme les plus récens, n’ont rien qui puisse être contraire à cette attraction morale. Ils se rappellent que depuis la première croisade, qui fut entre eux et nous la première rencontre pacifique, jamais deux peuples ne se sont mieux compris, que les rois de la dynastie angevine ont porté la puissance hongroise à son apogée, que les grands défenseurs de leur indépendance étaient les alliés de Louis XIV, enfin qu’après les funestes événemens de 1849 les héros magyars ont trouvé sur le sol de la France la plus cordiale hospitalité. S’ils tournaient leurs regards vers la Prusse, quand donc cette haineuse et froide puissance leur avait-elle rendu le moindre service capable de compenser les flots de sang hongrois versés par l’épée du grand Frédéric ou par celle de Guillaume sur les champs de bataille de la Bohême, dans des guerres chaque fois déclarées par la Prusse ?

Au mois de juillet 1870, les Hongrois, tout en blâmant notre gouvernement d’avoir déclaré la guerre, ne pouvaient admettre que les Français fussent rendus entièrement responsables des malheurs de toute sorte qu’il était trop facile de prévoir. Chaque dépèche, imprimée dès qu’elle arrivait, sur des papiers de toute couleur et colportée dans les rues de Pesth à titre de supplément d’un journal, était reçue par le public avec un vif plaisir lorsqu’elle contenait la nouvelle, fausse ou incomplète trop souvent, d’un avantage remporté par nos armes, avec un chagrin visible lorsqu’apparaissait la triste réalité. Un soir, le consul-général prussien pouvait entendre tout près de sa demeure le cri de vive la France ! poussé par un nombreux groupe populaire, et M. de Castellane, qui représentait dignement son pays, n’a certes jamais eu à se plaindre d’un témoignage quelconque de malveillance. Pendant le mois d’août, un Français ou un partisan bien connu de la France ne pouvait entrer dans un magasin, paraître dans une société, sans être accueilli par des sentimens, quelquefois bien amers, de douloureuse sympathie. À cette époque de vacances générales, il n’y avait aucune réunion politique ; mais les paisibles manifestations du théâtre national en tenaient lieu. On semblait jouer de préférence la musique française sur des paroles magyares. On donnait le drame de Rakoczy, dont le héros fut un allié de Louis XIV, et les allusions à la France étaient vivement saisies par le public. La plupnrt des journaux, surtoiit les feuilles modérées, suivaient avec inquiétude les progrès de la Prusse, de la puissance « toujours grandissante, naturellement illibérale, » et, par-dessus tout, « sœur chérie de la politique russe. » La haine de la Russie, passion dominante du plus