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laquelle il faut céder, — des chants pour vous, transgresseurs de la loi, car je vous regarde avec des yeux de frère, et vous êtes pour moi autant que les autres, — Je ferai le vrai poème des richesses, — richesses du corps et de l’esprit… — Je répandrai à longs flots l’égotisme et le célébrerai comme la base de toutes choses, — je suis le barde de la personnalité, — je prouverai que le mâle et la femelle sont égaux, — et qu’il n’y a pas plus d’imperfection dans le présent qu’il ne peut y en avoir dans l’avenir ; — je prouverai que, quoi qu’il advienne, à qui que ce soit, ou peut tirer de tout accident des résultats magnifiques, — je montrerai que rien ne peut nous arriver de plus beau que la mort ! — Je ne ferai pas de poème sur les parties, — j’écrirai des pages, des poèmes grands et petits, des chansons, des proverbes, des pensées sur l’ensemble, — et je ne chanterai pas un jour en particulier, mais tous les jours, — et il n’y aura pas une de mes œuvres, ni la moindre partie de mes œuvres, qui ne traite de l’âme, — parce qu’ayant considéré tous les objets de l’univers, j’ai trouvé qu’il n’y en avait pas un qui dans sa moindre parcelle ne fût en relation avec l’âme. »


M. Walt Whitman comprend que nous puissions être curieux de savoir ce qu’il appelle l’âme. Il procède donc à l’expliquer.


« Quelqu’un demandait-il à voir l’âme ? — Mais voyez votre propre forme et votre physionomie, les personnes, les substances, les bêtes, les arbres, les rivières impétueuses, les rochers et les sables. — Tous ont leur part de joies spirituelles, qui leur échappent ensuite. — Comment le vrai corps mourrait-il et serait-il enseveli ?

« Votre vrai corps, le vrai corps de tout homme ou de toute femme, — échappera aux mains des fossoyeurs et passera dans les sphères qui lui sont propres, — emportant avec lui tout ce dont il s’est augmenté, du moment de la naissance à celui de la mort.

« Le corps renferme l’esprit, et il est l’esprit, l’affaire essentielle ; il renferme et il est l’âme ; — qui que tu sois, combien superbe et divin est ton corps en sa moindre partie ! »


Sans que nous ayons besoin d’en citer davantage, il est clair qu’en philosophie Walt Whitman professe le naturalisme, poussé même jusqu’au panthéisme. M. Rossetti, son séide en Angleterre, fait très sérieusement remarquer que les doctrines de celui qui partage à ses yeux avec Colomb et Washington la gloire d’être le patron de l’Amérique se rapprochent d’une révélation de Swedenborg, qui nous représente l’ensemble du ciel sous la forme d’un homme et les diverses sociétés célestes sous la forme des diverses parties de l’homme ; mais c’est faire, trop d’honneur à Walt Whitman que