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se contente-t-on le plus souvent de débarrasser la chaussée, après chaque débâcle, des alluvions et des gros blocs dont elle est recouverte. Pendant l’hiver, lorsque la neige revêt les montagnes et les vallées d’un manteau uniforme, l’œil ne reconnaît plus aucun vestige du chemin sur le cône, où il n’y a ni arbres ni maisons ; les voituriers s’égarent et tombent dans les trous. Sur la montagne, les chemins vicinaux sont établis quelquefois dans le lit même du torrent, que des berges vives surplombent à pic de droite et de gauche. Que deviendrait le voyageur surpris par un orage au milieu de ces défilés ? S’il reste au fond du lit, les eaux vont l’engloutir ; s’il essaie de gravir les pentes, le sol s’écroule sous ses pieds. Il est de ces routes où les gens du pays n’ont garde de s’aventurer quand ils prévoient le mauvais temps. Tel est l’état des voies de communication dans un département de la France, à 50 lieues à peine de Lyon et de Marseille.

Les torrens n’exercent pas leurs ravages dans le seul département des Hautes-Alpes ; les départemens voisins de l’Isère, de la Drôme et des Basses-Alpes en éprouvent aussi les effets malfaisans. Depuis que l’attention s’est portée sur ce sujet, les géologues ont reconnu l’œuvre des torrens en tout pays de montagnes, dans les Pyrénées, les Cévennes, en Savoie, en Piémont, en Suisse. Il n’est pour ainsi dire pas une ondulation du sol où l’on ne discerne dans une crevasse les deux caractères distinctifs qui ont été décrits plus haut : l’érosion des terrains en pente rapide, et le dépôt d’un cône de déjection lorsque les eaux torrentueuses arrivent sur une surface plus large et moins inclinée. Le même phénomène s’est produit jadis, on n’en peut douter, avec une gigantesque énergie dans les temps où notre hémisphère, sortant de l’époque glaciaire, était sillonné par des cours d’eau impétueux. M. Cézanne signale d’immenses cônes de déjection au pied des Pyrénées, au débouché de l’Adour, du Gave et de la Garonne, puis dans la vallée de l’Isère, depuis Voiron, qui en est le sommet, jusqu’à Pont-de-Beauvoisin, Vienne et Voreppe, qui sont à la base. Dans ce dernier cas, il est vrai, le cône a été tellement raviné par les rivières en des temps plus récens que la forme en est maintenant indécise. Suivant le même auteur, le plateau des Dombes, couvert aujourd’hui par des étangs auxquels il doit sur la carte l’aspect d’une plaine parfaitement plate, n’est autre chose qu’un cône à pente presque insensible, dont la création remonte aux plus beaux temps de l’ère torrentielle ; mais en aucune des contrées du globe qui nous sont bien connues l’observateur ne voit de nos jours les torrens produire d’aussi grands dégâts que dans les Alpes du Dauphiné et dans le canton suisse du Tessin. Pourquoi le phénomène persiste-t-il à se