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dépose ensuite quand le torrent a pris les allures tranquilles d’une rivière ; le sable, que son extrême ténuité maintient plus longtemps en suspens, descend jusqu’à la mer. De ce mouvement perpétuel des. matières solides de l’amont vers l’aval résultent trois conséquences fâcheuses : la montagne est incessamment rongée par les ruisseaux qu’elle alimente ; le lit des rivières, encombré de sables et de graviers, ne peut plus contenir les eaux, qui débordent en temps de crue par-dessus les berges ; les embouchures des fleuves s’obstruent par des bancs que le mouvement des flots déplace chaque jour. Il y a parfois cependant quelques avantages à mettre en regard de ces graves inconvéniens : les eaux troubles, que l’on peut employer en irrigations, déposent sur le sol un limon fertile ; mais tout le profit que l’industrie humaine a su tirer en certaines contrées de cette opération, connue sous le nom de colmatage, ne saurait balancer les désastres que causent l’érosion des torrens dans les Alpes, les inondations dans le bassin de la Loire et les bancs de sable mobiles à l’embouchure de la Seine ou de la Garonne.

Notre globe a traversé dans les temps antéhistoriques, mais non pas avant l’apparition de l’homme, une ère glaciaire dont les effets gigantesques se révèlent ça et là par des amas de pierres, et dont les glaciers actuels reproduisent en petit les terribles phénomènes. Il est en proie aujourd’hui à l’ère torrentielle. Celle-ci sans doute n’a plus toute son activité primitive, car le développement de la végétation et le changement du climat l’atténuent de jour en jour. On voit des rivières couler inoffensives au fond de vallées que les eaux affouillèrent autrefois à plus de 100 mètres au-dessous du niveau du sol primitif. Cependant les torrens causent encore d’affreux ravages en certaines contrées. On ne s’en préoccupe guère que lorsque le désastre atteint un pays riche et fertile, par exemple quand le Rhône ou la Loire déborde, et l’on ne fait pas attention aux dommages plus fréquens qu’éprouvent les pays de montagnes. D’après ce qui précède, il est clair que l’érosion des montagnes par les torrens est en quelque sorte l’origine des dégâts que produisent les inondations dans les plaines et les atterrissemens sur le littoral. C’est donc là qu’il faut de préférence étudier le phénomène et en chercher le remède. Il n’est pas nécessaire pour cela d’aller loin. Nos départemens de la frontière sud-est, celui des Hautes-Alpes en particulier, sont un exemple lamentable de ce que produisent les torrens.