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nuit, on brisa les vitres de Haugwitz. Tout le monde sentait l’abaissement et comprenait le péril. Les âmes s’irritaient, on ne parlait que de revanche à prendre. Ce sont les prodromes ordinaires des fièvres nationales.


II

Les cours s’inquiétaient. Elles avaient eu vent de ce qui se tramait. La Prusse chercha d’abord à s’excuser près de la Russie, qui se montra bienveillante et proposa une sous-alliance. L’Angleterre ne voulut rien entendre et déclara la guerre. Napoléon avait l’amitié soupçonneuse, jalouse et exigeante. Hardenberg, le chef du cabinet prussien, lui portait ombrage. Déjà, dans un bulletin daté de Vienne, il l’avait accusé de n’avoir pas été insensible à la pluie d’or. Il lui reprocha dans le Moniteur « de s’être prostitué aux éternels ennemis du continent, » il l’appela traître et parjure, et fit dire à Haugwitz par Talleyrand a qu’on avait toujours supposé que M. de Hardenberg se retirerait. » Hardenberg se retira ; à partir de ce jour son rôle était tracé : il devenait un ennemi radical de la France et le plus populaire des ministres prussiens. Comme Hardenberg quittait le ministère à Berlin, Fox y entrait à Londres. Talleyrand l’avait connu pendant ses séjours en Angleterre ; ils se mirent immédiatement en relations. Lord Yarmouth fut chargé d’entamer officieusement les pourparlers. Dès le mois d’avril, Talleyrand lui déclara que « la restitution pure et simple du Hanovre ne ferait point de difficulté. » La négociation devint officielle ; pendant qu’elle s’engageait, la chancellerie impériale en poursuivait une autre à Saint-Pétersbourg et en terminait une troisième en Allemagne. Napoléon notifia un jour à la diète de Ratisbonne qu’elle avait perdu toute raison d’être, et que les états du sud et de l’ouest de l’Allemagne s’étaient formés en confédération du Rhin sous le protectorat de l’empereur des Français. Le saint-empire romain des nations germaniques était dissous.

La Prusse avait été tenue à l’écart et très rigoureusement dans ces trois affaires. Elle en était réduite aux confidences intéressées, aux bavardages de chancellerie, aux indiscrétions officieuses de la presse. Non-seulement on ne la traitait plus en amie, mais on cessait de la traiter en puissance. En guerre avec l’Angleterre et la Suède, elle savait que l’Autriche ne lui pardonnait pas l’abandon de 1805 ; la Russie parlementait en arrière d’elle avec Napoléon, et Napoléon, son seul allié, disposait des affaires allemandes sans daigner seulement l’en avertir. C’était une situation intolérable.