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Granville le 20 octobre à son ambassadeur à Berlin, et où il était beaucoup question du bon droit et de la gloire de l’Allemagne, de la justice d’une guerre entreprise pour repousser la menace d’une invasion étrangère, enfin de tous les lieux-communs chers à l’hypocrisie allemande. Il y était même dit en propres termes : « Notre intention n’est pas d’offrir un avis superflu ou inacceptable aux belligérans. » Quant à M. de Bismarck, il répondit en donnant son entière approbation au langage du gouvernement anglais, et, tenant essentiellement à écarter toute méprise, il développa la pensée de lord Granville d’une manière plus explicite encore. « Nous avons toujours à craindre, dit-il, que, dans l’aveuglement où le gouvernement parisien semble vouloir persister, les intentions bienveillantes du cabinet britannique ne soient pas comprises par lui, et qu’il ne voie dans l’intérêt d’humanité qui a inspiré cette intervention l’illusion d’un appui des puissances neutres et par suite un encouragement à une résistance prolongée, ce qui pourrait amener justement le contraire de ce qui est dans les intentions de lord Granville. » On le voit, c’était M. de Bismarck qui fixait la mesure dans laquelle il daignait autoriser l’Angleterre à intervenir.

Il faut rendre justice au cabinet autrichien, il ne voulut être ni le complice ni la dupe de cette comédie. Pendant que l’Angleterre se faisait le très humble exécuteur des volontés de la Prusse, M. de Beust protestait avec modération, mais avec fermeté, contre l’hypocrite démonstration de M. de Bismarck. « Il craignait, disait-il, qu’un jour, devant le tribunal de l’histoire, une grave responsabilité ne retombât sur les neutres, s’ils voyaient avec une indifférence muette le danger des maux inouïs dont on plaçait le tableau sous leurs yeux ; » puis, insistant pour une médiation collective et simultanée, il exprimait au cabinet de Berlin son regret de voir qu’en présence des catastrophes annoncées par M. de Bismarck il persistait à écarter toute ingérence étrangère ; il déclarait au cabinet de Londres que ses efforts resteraient stériles, s’il s’attachait toujours à éviter l’apparence même d’une pression exercée sur la Prusse. « Tel n’est pas, ajoutait-il, le moyen de détourner l’excès d’horreur que la Prusse dit vouloir épargner à ses ennemis. Pour ne point vouloir porter la peine des fautes du gouvernement tombé, les hommes de la république sont prêts aux résolutions extrêmes ; c’est un étrange moyen de les en détourner que de ne laisser parvenir jusqu’à eux que la voix du vainqueur[1]. »

Assurément ces loyales paroles étaient une consolation pour la

  1. Dépêches du comte de Beust au comte de Wimpffen à Berlin, 13 octobre 1870, — au comte Apponyi à Londres, 27 octobre.