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de l’aider, mais prête en toute occasion à chercher à recouvrer son prestige perdu[1]. »

« Là-dessus, raconte M. Thiers avec sa grande modération de langage, lord Granville s’est confondu en témoignages d’affection pour la France, et, avec une grande douceur, s’est attaché à éluder tous nos efforts. » A en juger par le récit de son interlocuteur, ces témoignages n’étaient que de pure politesse, et cette douceur n’était que dans la forme. Le ministre de la reine se livra tout au contraire à de froides récriminations contre la France, dont il confondait soigneusement la cause avec celle du gouvernement qui l’avait entraînée dans la guerre. « L’Angleterre avait fait tout son possible pour conserver la paix. Elle était allée au-delà de ce qu’elle avait le droit de faire, et elle avait réussi à écarter la cause du conflit ; mais le gouvernement français avait persisté dans des exigences inadmissibles, il s’était jeté dans la guerre avec une présomption hautaine qui avait découragé tous les efforts des neutres : ceux-ci n’avaient plus qu’à regarder et à attendre. Quant à lui, il avait déclaré au parlement que son intention était de maintenir une stricte neutralité et de chercher à entretenir des relations amicales avec les deux pays : le parlement l’avait approuvé. » — « J’exposai à M. Thiers, écrit lord Granville, tous les motifs qui nous empêchent d’offrir notre médiation, à moins que nous n’ayons des raisons de croire qu’elle serait acceptable pour les deux parties, et qu’il ne paraisse y avoir une base sur laquelle les deux belligérans seraient disposés à négocier. » Il poussa même la dureté jusqu’à dire que, quant aux argumens allégués par M. Thiers pour engager l’Angleterre à ne pas rester inactive, « ces raisons n’étaient pas neuves pour lui, et que les Allemands les lui avaient toutes fait valoir en lui exposant qu’il était contraire à l’intérêt et à la dignité de son pays de ne pas prendre parti pour l’Allemagne, quand la France avait commencé une guerre injustifiable et agressive contre l’avis de l’Angleterre elle-même[2]. « Il ajoutait, en se gardant bien de le dire dans ses dépêches à lord Lyons, « que l’Angleterre désirerait peut-être bien venir à notre secours, mais que, ne voulant pas aller jusqu’à la guerre, elle s’exposait, en insistant au nom des neutres, à déplaire à la Prusse, qui ne voulait pas entendre parler de leur intervention, et dès lors, concluait-il, à desservir plutôt qu’à servir notre cause[3]. »

Ce langage, mêlé d’amertume pour la France et d’humilité devant l’Allemagne, n’était pas de nature à encourager notre ambassadeur. L’allusion faite par lord Granville aux efforts tentés par la Prusse

  1. Lord Granville à lord Lyons, 13 septembre 1870. — Blue-Book.
  2. Lord Granville à lord Lyons, 14 septembre 1870. — Blue-Book.
  3. M. Thiers à M. Jules Favre, 13 septembre 1870.