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appelées à se combattre ; mais l’Europe leur sert naturellement de champ de bataille, et leur antagonisme se trouve mêlé à toutes les difficultés de la politique européenne.

L’alliance russe est une alliance de guerre, parce que la Russie est elle-même une puissance militaire, ambitieuse, autocratique et conquérante. Si l’un des états de l’Occident a besoin de frapper un grand coup sur l’Europe, l’alliance russe lui est nécessaire. Napoléon ne s’y était point trompé lorsqu’il recherchait à Tilsitt l’amitié de la Russie, pour s’en servir contre sa principale et implacable ennemie, l’Angleterre. Il la perdit plus tard par l’excès de son ambition démesurée ; mais du jour où la Russie se tourna contre lui, il cessa de vaincre. M. de Bismarck non plus ne s’y est pas trompé, quand à la veille même de la guerre, pour être plus libre de démembrer la France, il a pris soin d’intéresser l’ambition russe au succès de l’ambition prussienne.

L’alliance anglaise au contraire est celle de la paix et de l’équilibre. Son principal objet est d’arrêter l’essor de la Russie. Puissance commerciale et coloniale, l’Angleterre est intéressée surtout au maintien de la paix générale du monde. Il n’y a pas de conquêtes à faire avec l’alliance anglaise ; il y a seulement à faire de temps à autre la police de l’Europe. La France, en s’attachant à cette alliance, a prouvé depuis longtemps qu’elle n’était plus une nation conquérante et dangereuse pour le repos du monde. On aurait pu croire que le second empire, s’inspirant des traditions du premier, allait ouvrir une ère de conquêtes et de guerres ambitieuses. Il n’en fut rien. Napoléon III lui-même, il faut lui rendre cette justice, malgré ses incohérences et ses perfidies, avait compris sous ce rapport l’esprit de son époque et les vrais intérêts de son pays. La guerre de Crimée donna un démenti éclatant au préjugé régnant contre la France. En groupant autour des deux grandes puissances alliées tous les moindres états de l’Europe, elle scellait fortement l’alliance anglaise, et montrait la France aux nations comme le soldat de la civilisation et le gardien du bon ordre en Europe. Si la France n’était point sortie de ce rôle aussi glorieux que sage, si l’Angleterre avait montré elle-même plus de fermeté dans les circonstances difficiles, cette alliance prépondérante se serait maintenue, et il n’y aurait rien de bouleversé dans le monde.

Malheureusement, à partir de ce jour, il semble qu’on n’ait rien négligé pour affaiblir cette heureuse union. Le cabinet des Tuileries, par son esprit d’aventures, par ses arrière-pensées malhonnêtes, celui de Londres par son excessive timidité et par une certaine jalousie mesquine, ont semblé prendre plaisir à compromettre leur propre ouvrage. L’empereur était un utopiste, un rêveur qui,