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leur poésie, aux lignes d’un horizon leur grandeur ou leur mystère. Alors plus que jamais l’impression produite sur le spectateur dépendra de l’impression que l’artiste aura lui-même ressentie, et les préférences témoignées par celui-ci devant la nature se justifieront d’autant plus aisément à nos yeux que l’expression en sera plus nette, plus personnelle, plus ouvertement voulue. Les éblouissantes études d’architecture et de paysage exposées, il y a quelques semaines, à côté des autres œuvres de Henri Regnault ont prouvé ce que l’originalité du sentiment et du style peut. avoir en pareil cas de communicatif et de convaincant. Sans forcer le rapprochement entre des travaux. matériellement si dissemblables, ne saurait-on dire que les sévères paysages peints ou dessinés par M. Bertin achèvent à leur manière la démonstration ?

Ici, en effet, l’intervention du goût individuel se manifeste avec une éclatante franchise. Chaque forme, qu’elle soit exprimée jusqu’au bout ou seulement indiquée, accuse une intention préconçue ; chaque coup de crayon ou de pinceau correspond à un ordre d’idées supérieur au fait, et dont l’élévation se révèle dans l’ampleur de l’interprétation même, dans la sobriété majestueuse des procédés de l’imitation. Sans doute, si la représentation de la nature n’avait d’autre fin que l’illusion absolue, le trompe-l’œil, des œuvres traitées avec ce dédain pour les petites vérités d’accident et de détail courraient le risque de paraître insuffisantes ; on n’aura garde de les juger telles, si l’on se rend compte des conditions spiritualistes de l’art et des privilèges qui lui appartiennent, si l’on se rappelle qu’il a pour objet principal cette délectation de l’intelligence dont parle Poussin, ou, suivant une autre parole du noble maître, que « le tout est de bien savoir ce qui est permis à un peintre dans les choses qu’il veut représenter, lesquelles se peuvent prendre et considérer comme elles sont ou comme elles doivent être. » En réformant à quelques égards ses modèles, M. Bertin ne fait donc qu’user d’un droit incontestable, d’une facilité profitable à la grandeur, et même en un certain sens à la vraisemblance de l’aspect, puisque, par cette réforme ou cet abrégé des choses qu’il retrace, l’artiste en définit d’autant mieux les caractères dominans, la physionomie et la beauté typiques.

Il ne suit pas de là néanmoins que le talent de M. Berlin se produise partout et toujours avec la même autorité. Nous le disions en commençant, les tableaux que M. Berlin a signés ne laissent qu’incomplètement pressentir l’originalité, l’aisance tout au moins de sa manière, tandis que, depuis les dessins achevés jusqu’aux moindres croquis, ce qui est sorti de son crayon révèle, aussi clairement qu’un esprit bien inspiré, une main facile, sûre d’elle-même, maîtresse en toute occasion du sujet qu’elle aborde et du moyen. On ne saurait prétendre sans doute qu’en se servant du pinceau cette main si bien prémunie par l’étude renonce à ses coutumes savantes ; encore moins pourrait-on, au point de vue des doctrines, soupçonner chez le peintre la secrète velléité d’un désaveu, de