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particulièrement chez ces peuples ? Quoi qu’il en soit, l’éducation nationale y est pour beaucoup : elle hâte le moment où chaque génération commence à porter ses fruits. Dès l’âge de vingt ans, un Américain ou un Anglais est mûr pour le travail, il a connu les premiers périls de l’indépendance et couru les risques de la responsabilité personnelle. Pour le Français, la majorité morale est plus tardive, et l’on doit s’en prendre, au moins pour une part, au régime d’internat dans les lycées, qui conservent les élèves jusqu’à l’âge de dix-huit ans. Aux dangers d’une émancipation qui semblerait trop prompte, on peut opposer avec succès le frein du travail. C’est ici que le mode d’enseignement est d’une importance capitale. Les cours qui sont en quelque sorte rivés l’un à l’autre, les leçons qui se succèdent sans interruption, les examens fréquens, tiennent lieu de la plus sévère discipline. La dissipation n’a point de prise lorsque l’étude est solidement installée dans la vie des jeunes gens. C’est à cela qu’il faut viser en laissant aux étudians la liberté sans loisirs.

Les élèves de l’École centrale ont justifié de tout temps, par leur esprit de discipline à l’intérieur de l’école et par leur conduite au dehors, les règlemens très libéraux qui leur sont appliqués. Ils ont eu la sagesse de ne point prendre part à nos agitations politiques, ils n’ont jamais revendique une place dans les manifestations parisiennes, ni mérité la moindre citation dans le calendrier des révolutions. Nul doute qu’ils ne soient, comme tous les jeunes gens, fort épris de la liberté ; il leur serait permis, à eux aussi, d’invoquer les traditions libérales en rappelant que les noms d’Arago, de Casimir Perier et de Jacques Laffitte ont figuré sur la liste de leur conseil de perfectionnement, et ils auraient pu, comme tant d’autres, rechercher la popularité qui s’attache trop souvent aux opinions bruyantes. Les exemples et les séductions ne leur ont pas manqué ; ils y ont résisté. Cette bonne tenue, qui leur fait honneur, doit être attribuée en grande partie au régime de l’école, qui ne tolère point d’élèves amateurs, et qui, avec son système d’études obligatoires strictement limitées à trois années, ne permet en quelque sorte aucune fissure par laquelle puissent pénétrer les distractions révolutionnaires.

Il n’est pas inutile de s’arrêter à ces détails, qui montrent, contrairement aux opinions reçues, que l’externat, sagement dirigé, peut être sans péril pour les jeunes gens, sans inconvénient pour les familles, sans embarras pour le gouvernement. Au moment où toutes les pensées sont tournées vers le développement des institutions d’enseignement, alors que nos anciennes écoles sont à la veille de recevoir de l’extension et que de nouvelles écoles doivent être