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Même après la faute de 1864, même après l’écrasement de l’Autriche à Sadowa en 1866, elle pouvait faire écouter sa voix et se faire accepter comme médiatrice, de concert avec d’autres qui s’y fussent prêtés quand nos armées régulières eurent été détruites, et de cette manière elle aurait sauvé l’équilibre européen d’une ruine qui prépare tout au moins son abaissement. Et ici il ne faut pas dire que dans l’automne de 1870 l’Angleterre n’avait pas des armemens qui pussent balancer ceux de la Prusse. L’Angleterre n’a pas besoin d’être armée pour qu’on prenne garde à ses recommandations. Elle possède intrinsèquement une masse de ressources telle et, par la solidité de sa puissance, une autorité si réelle que, toutes les fois qu’elle parle avec fermeté, toutes les fois qu’elle articule une volonté, on en tient un grand compte. Fermeté et volonté en notre faveur lui ont manqué après nos malheurs militaires en 1870, et par rapport à elle-même c’est une grande responsabilité qu’elle a ainsi encourue.

Vainement pendant que la Prusse s’acharnait sur nous alors que visiblement pour tout le monde nous étions vaincus, elle a cru se concilier le vainqueur par des ménagemens, par des caresses, par les félicitations qu’elle lui adressait sur ses victoires, par les éloges et la partialité de ses principaux journaux. Elle n’empêche pas le vainqueur de sentir qu’il a prise sur elle. Elle n’étouffe pas l’ardente convoitise que ces descendans des anciens Normands, devenus disciples de Hegel, éprouvent au fond du cœur pour les richesses que renferment Londres et l’empire britannique. Elle n’est aucunement certaine d’être à l’abri de quelque demande arrogante pour la restitution de Héligoland au domaine sacré de la Germanie. Et si jamais la lutte s’engageait, elle n’a aucune assurance au sujet des limites des exigences de son ennemi dans le cas où il serait victorieux. Celui des fils de l’Angleterre qui a écrit l’apologue intitulé l’École de madame Europe a certainement adressé à sa nation une morale méritée, et il n’est pas absolument impossible que celui à qui l’on doit le conte de la Bataille de Dorking lui ait fait une prophétie : seulement, dans ce dernier désastre, la rançon, au lieu d’être de 5 milliards de francs comme chez nous, pourrait bien monter à 1 milliard sterling.

Nous ne pouvons terminer sans dire un mot de l’histoire de la diplomatie et du droit international dans le nouveau continent pendant le XIXe siècle ; elle est curieuse à explorer, et le livre de M. Calvo nous y invite, parce que, Américain lui-même, l’auteur l’a traitée avec prédilection et en parfaite connaissance du sujet. On aperçoit ainsi les perspectives de cette partie du monde. Avant l’ouverture de ce siècle, l’Amérique ne comptait pas en politique, elle n’y était