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que leur a donnés lord Granville, « de s’abstenir de tout ce qui pourrait inspirer aux Chinois du soupçon ou de l’animosité, et de détourner avec insistance leurs prosélytes de l’idée que leur conversion au christianisme les dispense de leurs devoirs généraux de sujets chinois. » Cette manière de voir du gouvernement anglais a naturellement soulevé les réclamations des sociétés bibliques. Dans la polémique qui s’est engagée à ce sujet, quelques hommes d’état ont reproché aux missionnaires protestans de ne pas être à la hauteur d’une tâche aussi délicate qu’une propagande religieuse. C’est, à notre avis, un reproche immérité. Si ces missionnaires, divisés en sectes nombreuses, réduits à des ressources modiques par le manque de concentration de leurs efforts, mariés pour la plupart, ne pouvant par conséquent s’éloigner beaucoup de leurs familles pour prêcher dans l’intérieur, ne font que peu de progrès, ils ne laissent pas d’apporter une part très appréciable dans l’œuvre de la civilisation et du rapprochement de la Chine avec l’Europe, soit par les écoles et les hôpitaux qu’ils fondent, soit par leurs études, leurs travaux, leurs observations, qui embrassent presque toutes les branches des sciences morales et physiques. Ils traduisent pour les Chinois nos principaux livres de mathématiques et de sciences industrielles. A l’Europe, à l’Occident, ils font connaître par des publications continuelles les mœurs, la philosophie, la religion, la médecine, la flore de l’empire du Milieu. Ils ont pris sous ce rapport dans le monde savant la place qu’occupaient les jésuites au XVIIIe siècle.


IV

Nous croyons utile, en terminant, d’attirer l’attention sur les sacrifices qu’exigerait de la France une nouvelle expédition en Chine, si un jour les circonstances l’y poussaient. Beaucoup de personnes en parlent à la légère ; se rappelant qu’en 1860 les troupes alliées, fortes à peine de 20,000 hommes, purent arriver au pas de course et de victoire en victoire jusque sous les murs de Pékin, on se figure que de pareils effectifs seraient encore suffisans ; nous l’avons même entendu dire par des Européens résidant en Chine. C’est là une illusion. Si le gouvernement chinois est resté jusqu’ici inerte devant la pression exercée sur lui pour lui faire adopter les chemins de fer et les télégraphes, il est un but qu’il poursuit résolument : celui de s’armer. Tous les mandarins, du premier au dernier degré de la hiérarchie, ont à cœur de voir leur pays prendre une attitude qui impose le respect, et ne le laisse plus soumis aux menaces qu’on lui prodigue plus souvent peut-être qu’il ne le faudrait, et